LES FILLES D’OLFA

Olfa, la cinquantaine, a quatre filles. Les deux aînées ont disparu, elles ont rejoint le Jihad quelque part en Libye. Kaouther Ben Hania s’est emparé de cette tragédie personnelle pour construire un documentaire à la forme totalement insolite. Olfa et ses filles, Eya et Tayssir, "jouent" leur propre rôle, parfois Olfa est remplacée par une actrice dans les moments les plus douloureux. Deux autres actrices interprètent les sœurs disparues. Et un seul comédien incarne tous les personnages masculins : mari, amant, policier, l’ennemi absolu ! Car de quoi nous parle ce film ? De la condition de la femme en Tunisie. A travers dictature, espoir fou de liberté avec la révolution du jasmin, les islamistes en embuscade et la chape de plomb actuelle, Olfa raconte son histoire, entre soumission et révolte, de la nuit de noce en coup de poing tragi-comique au divorce, à l’amant… Et toujours l’inquiétude pour ses filles, préceptes rigides contre une émancipation affirmée, sans retour.
Confessions au plus près des souffrances et des questionnements, dialogues avec les actrices dans une sorte de distanciation à la Brecht, avec du recul, dans une volonté de comprendre, irruption de l’info avec des séquences venues de l’Etat islamique et, images fortes, le hijab, entre dérision et effroi, le noir omniprésent, mais aussi le rouge éclatant aux lèvres et pendant le défilé des majorettes, comme un défi. Avec une maîtrise sans faille, Kaouther Ben Hania multiplie les registres , toujours en fluidité, sans jamais forcer, et conjugue magistralement émotion et lucidité.

Tessa Parzenczewski