Caroline De Schryver

attachée de presse

Caroline De Schryver, attachée de presse
C’est dans la brasserie "De Ultieme Hallucinatie", un bâtiment de la rue Royale, restauré en 1904 dans un style art nouveau, par l’architecte Paul Hamesse, que CinéFemme a rencontré Caroline De Schryver. Hommage à une rencontre mémorable entre cette dynamique attachée de presse et Terry Gilliam venu présenter à Bruxelles son fantasque "Tideland".

CF (CinéFemme) : Comment définiriez-vous votre travail d’attachée de presse ?
CDS (Caroline De Schryver) : Je suis le lien entre une oeuvre et le spectateur au travers des journalistes qui vont parler du film dans leurs médias respectifs.

CF : Diriez-vous que votre travail, comme celui des journalistes, est un travail de communication ?
CDS : Oui. Parce que je communique des informations auxquelles, ensuite, le journaliste accorde l’attention et le suivi qu’il estime utiles et/ou opportuns.

CF : Y a-t-il de votre part un souhait de convaincre la presse que le « produit » promotionné est un bon produit ?
CDS : Evidemment il y a l’envie de convaincre de la justesse de nos choix. Mais je ne dispose d’aucun moyen de pression sur le journaliste qui reste entièrement libre de son opinion. Mon travail consiste moins à séduire qu’à faire en sorte que l’expérience et le sérieux de la maison que je représente soient reconnus.

CF : Dans cette optique, votre annuaire de films - que vous appelez « catalogue » sur votre site www.cineart.be – est une idée judicieuse.
CDS : Effectivement, ce catalogue étaye le souci qui est le nôtre de sélectionner, parmi la masse de plus en plus impressionnante de films qui sortent, les meilleurs d’entre eux ou du moins ceux qui reflètent le mieux ce qui est pour nous un cinéma de qualité.

CF : Quels sont les critères qui définissent, à vos yeux, ce cinéma de qualité ?
CDS : Cinéart est une « petite » entreprise qui fonctionne bien parce que les gens qui y travaillent ont chacun leur spécificité. La mienne n’est pas de participer à la sélection des films à acheter. Je ne peux donc pas définir ces critères de sélection avec l’acuité qui serait celle du responsable des acquisitions. Je ne parlerai donc qu’en mon nom personnel : un cinéma de qualité est celui dans lequel se croisent à la fois un regard sur une histoire personnelle et une approche plus globale (politique, économique, sociale…) du monde dans lequel s’inscrit cette histoire.

CF : C’est un peu la définition donnée par Fritz Lang lorsque, interrogé par Jean-Luc Godard, sur les raisons pour lesquelles un film sortait de l’ordinaire, il répondait « c’est un film qui a quelque chose du documentaire ».
Pour en revenir à Cinéart, vous évoquez une répartition des tâches ?
CDS : Chacun a une tâche et comme il a la possibilité de bien s’y consacrer, c’est-à-dire de ne pas éparpiller son énergie, il la mène généralement à bon port. Mais répartition ne veut pas dire cloisonnement. Il existe des passerelles de communication entre les départements.

CF : Pouvez-vous m’en dire plus sur l’organigramme de Cinéart ?
CS : En haut de la pyramide, il a y notre directrice-fondatrice : Eliane Du Bois
Juste en dessous, Stéphan De Potter, le coresponsable (avec Eliane Dubois) des acquisitions et du theatrical …

CF : … Le theatrical ?
CDS : … Ce terme anglo-saxon recouvre la sortie des films en salles. Tous les lundis après-midi, nous avons à Cinéart une réunion theatrical où l’on discute un peu de tout. Par exemple si l’on reçoit 3 propositions d’affiches pour un film, laquelle sélectionner ? Est-ce qu’on accepte de présenter un film demandé par tel festival ? Qui inviter pour soutenir la promo de tel film ?

CF : En ce qui concerne la promotion, quelles sont les limites ?
CDS : Madame Du Bois, Stéphan et les responsables des films, lors de réunions "brainstorm" où se décident les axes de sorties d’un film, supputent le nombre d’entrées par oeuvre et en fonction des rentrées espérées, on adapte le budget. Ce qui est souvent un cercle vicieux, parce que ce sont les « petits » films qui devraient être le plus soutenus. Comme personne n’est prophète en son domaine, il existe parfois de bonnes surprises.

CF : Vous pouvez me donner un exemple ?
CDS : Le film « Bin-Jip » du coréen Kim Ki-duk a cartonné au-delà de nos prévisions. Alors que c’est un film d’auteur, aux dialogues rares et à l’action plutôt épurée.. Et pourtant il a rencontré un large public. C’est le mystère de notre métier. On n’est jamais certain à 100% de ce qui va marcher ou pas.

CF : En ce qui concerne les acquisitions, ça se passe comment ?
CDS : Ce n’est pas ma spécialité mais je ne crois pas dire de bêtises en disant que ou bien Cinéart est sollicité par les vendeurs ou bien il développe sa propre stratégie d’achats en allant à la recherche de films, dans les festivals notamment.

CF : Ces acquisitions concernent-elles juste l’exploitation des films en salle ou couvrent-elle aussi leur diffusion sur DVD ?
CDS : En fait Cinéart essaie d’obtenir le maximum de droits pour optimiser la rentabilité d’un achat. A côté des droits theatrical, il y a les droits video, video à la demande, télé, avion, etc.

CF : Une dernière acquisition ?
CDS : Il semblerait que le film « The man from London » de Bela Tarr (*), adapté d’un roman de Georges Simenon et présenté à Cannes cette semaine, vient d’être acheté par la maison. Il est bien entendu qu’en ce qui concerne les cinéastes que nous soutenons depuis leur début, il y a entre eux et nous, des liens d’engagements plus spécifiques.

CF : Comme Ken Loach ?
CDS : Oui, ou Lars Von Trier, Emir Kusturica, les frères Dardenne…

CF : Revenons à l’organigramme, voulez-vous. Nous en étions à Stéphane De Potter…
CDS : Oui, Stéphan est, comme je l’expliquais précedemment, le responsable du theatrical qui est un département qui regroupe la programmation, la promotion et la presse.

CF : Pouvez-vous détailler les activités du département promotion ?
CDS : Pour chaque film il y a un responsable de film qui s’occupe de la promotion au sens large : avant-premières ou événements, affiches, annonces dans les journaux, publicités diverses (tramway, cartes format postal ou 22/15 distribuées dans les lieux publics). Sa mission consiste aussi à trouver des partenaires media (presse écrite, télé, radio) qui vont soutenir le film ainsi que des associations ou organisations qui peuvent aider à faire connaître ou à faire parler du film. Moi je ne gère « que » la partie presse de la promotion….

CF : … Comment ?
CDS : … En organisant des projections de presse, des interviews Je réponds aux demandes d’informations des journalistes. Je m’occupe aussi des contacts avec les journalistes et de toute la logistique de base : réserver, pour les artistes qui viennent soutenir leurs films, les billets de train ou d’avion, les chambres d’hôtel, les restaurants, les taxis….

CF : … Vous occupez-vous de vos invités lorsqu’ils restent loger à Bruxelles ?
CDS : Je m’occupe d’organiser leur venue (planning d’interviews, transport, logement, repas...), je les accompagne tout au long de leur journé promo et s’ils restent à Bruxelles, il m’arrive de partager la soirée avec eux.

CF : Je vous ai interrompue dans l’énonciation de vos tâches…
CDS : ... Je suis chargée de répondre à des propositions d’interviews. Ainsi il y a des cinéastes dont on sait qu’ils ne viendront pas à Bruxelles. Woody Allen par exemple. Je suis avertie de leur présence en Europe (Londres ou Paris souvent) ou ailleurs dans le monde (le plus souvent ls Etats Unis) pour y donner des entretiens. Il m’arrive de répondre à cette annonce en organisant un déplacement groupé de journalistes.

CF : Je crois me souvenir que ce fut le cas pour la sortie du film « La môme » d’Olivier Dahan.
CDS : Effectivement, à cette occasion, une journée d’interviews était prévue à Lille. J’ai répercuté cette info auprès des journalistes, établi, en fonction des réponses, une liste de présence et un ordre minuté de passage. Mon travail consiste aussi à organiser leur déplacement.

CF : Etes-vous la seule responsable du service presse ?
CDS : Je suis aidée dans ma tâche par Pascale qui travaille mi-temps avec moi, mi-temps à la programmation. Elle s’occupe de certaines tâches administratives comme la rédaction des invitations aux projections de presse, les réponses à donner aux demandes de matériel (bandes-annonces, extraits de films) faites par les télés, ou encore la compilation des revues de presse à envoyer aux vendeurs des droits et parfois aux producteurs, aux réalisateurs et aux acteurs.
Je travaille aussi avec Brigitta. On a la chance de bien s’entendre et la répartition du travail entre nous se fait soit selon nos affinités soit selon nos possibilités. Brigitta est à Cannes en ce moment parce qu’elle est une attachée de presse internationale et que le travail presse sur place est géré quasi exclusivement par des attachées de presse internationale.

CF : Certains mois, il y a tellement de films qui sortent - j’ai relevé 7 sorties Cinéart pour ce seul mois de mai - qu’en assurer le suivi relève de la prouesse ?
CDS : (rires) … Il est vrai que parfois j’ai envie de m’arracher les cheveux. Il est donc nécessaire de bien s’organiser pour planifier à temps les sorties prévues.

CF : Quelles sont les qualités que vous estimez nécessaires pour mener à bien votre tâche ?
CDS : Etre une bonne communicante. Etre diplomate et en même temps savoir gendarmer pour que soit respecté, lors des interviews notamment, le temps de parole accordé à chacun.
Avoir un minimum de psychologie pour s’adapter à la personne qui est en face de vous. Etre curieuse et disponible. Etre douée d’une belle capacité de travail. Ne pas rechigner à la modestie de certaines tâches administratives. Savoir faire face à l’imprévu. La solution importe plus que le problème. Ne pas anticiper le pire.

CF : Comment êtes-vous arrivée chez « Cinéart » ?
CDS : Grâce à Bruno Parent qui m’a, un jour, appelée en renfort intérimaire parce qu’il y avait une surcharge de travail chaussée de Haecht. C’était encore l’époque où la maison organisait avec l’Arenberg la saison « Ecran-Total ».

CF : Comment avez-vous atterri au service presse ?
CDS : Grâce à Brigitta evec laquelle j’avais travaillé au Festival du Cinéma de Bruxelles où je me suis occupée, pendant plusieurs années, des services infos et accréditation. Quand Cinéart a eu besoin d’’une attachée de presse, on a pensé à moi parce que je connaissais déjà la maison grâce à mes interims. Ce qui était un gain de temps : on ne devait plus tout m’expliquer. Et ensuite parce que je parle couramment 3 langues ( le français, le néerlandais et l’anglais).

CF : C’est effectivement un atout de poids.
CDS : C’est surtout le résultat d’une scolarité mixte, vécue pour le primaire à Gand et pour le secondaire à Namur. Déplacement géographique dû à une réorientation professionnelle de mes parents.

CF : Aviez-vous une formation particulière qui vous amenait à travailler dans un service de presse ?
CDS : Pas particulièrement. J’ai fait une année d’études à l’IAD (section : réalisation) puis à l’INRACI parce que le contenu des cours, plus axé sur la pratique, me convenait mieux. J’ai beaucoup appris sur le terrain. Notamment en travaillant dans le monde du tourisme et du spectacle (au sens large : opéra et spectacle musical).

CF : Avez-vous été la condisciple d’un cinéaste devenu depuis « célèbre » ?
CDS : Célèbre pas encore. Mais en voie d’être reconnue, peut-être. Ursula Meier.

CF : Lorsque j’ai interviewé Joachim Lafosse, il m’a dit, qu’à ses yeux, elle est une des cinéastes belges les plus prometteuses et qu’il avait beaucoup apprécié son téléfilm « Des épaules solides ».
Quels ont été vos premiers contacts avec le cinéma ?
CDS : J’ai travaillé sur des tournages non pas en tant qu’attachée de presse mais en tant qu’assistante à la réalisation.

CF : Sur quels films avez-vous travaillé ?
CDS : J’ai travaillé quelques jours, sur« Le 8ème jour » de Jaco van Dormael ou « Farinelli » de Gérard Corbiau, comme chef de file (je m’occupais des figurants). J’ai travaillé aussi comme habilleuse sur "Les 7 péchés capitaux", film réalisé par différents cinéastes dont Frédéric Fonteyne, Yvan Le Moine entre autres. J’ai été assistante réalisation sur "The anchoress", une co-production anglaise tournée en partie en Belgique. Sinon, j’ai participé à des tournages publicitaires.
Ce qui me caractérise est de savoir saisir les opportunités que la vie m’offre. Et travailler chez Cinéart en est une. Mais ce ne sera peut-être pas celle dans laquelle j’aurai envie de m’installer jusqu’à l’âge de ma retraite.

CF : Qu’aimez-vous particulièrement dans votre travail ?
CDS : J’ai l’occasion de rencontrer un tas de gens intéressants. J’ai appris à apprécier et à respecter le travail des journalistes. Je ne trouve pas évident de passer sa journée à voir plusieurs films les uns après les autres et d’encore trouver le temps de rédiger, pour chacun de ceux-ci, un papier avec la tête "fraîche".

CF : … Et bien voilà une réflexion qui apporte un réconfortant correctif à la tirade de Roman Polanski qui, lors de la conférence de presse à propos du film célébrant les 60 ans du Festival de Cannes, se plaignait de la baisse de niveau de la profession.

Vous parliez de rencontres intéressantes au niveau de la presse. Et au niveau des acteurs et réalisateurs ?
CDS : Il y a des gens agaçants bien sûr. Agaçants parce que non fiables. Mais il m’arrive de croiser des gens fantastiques.

CF : Comme ?
CDS : Deux noms me viennent immédiatement à l’esprit. Nathalie Baye parce qu’elle m’a étonnée par sa conscience d’un horaire à respecter. Lorsqu’elle est venue à Bruxelles, soutenir « Le petit lieutenant » de Xavier Beauvois, je me suis rendue compte qu’elle avait lu le planning d’interview. Ce qui est exceptionnel.

CF : Et la seconde belle rencontre ?
CDS : C’est Ken Loach qui m’a touchée parce qu’il y a entre ses films et lui une rare authenticité. Ainsi, tout à fait dans l’esprit social de son cinéma, il est, pour lui, inconcevable de dépenser pour un repas des sommes qui dépassent « le minimum syndical ». Un sandwich au fromage le met plus à l’aise qu’un repas dans un restaurant même de standing moyen. Il n’hésite pas non plus à mettre la main à la pâte en aidant à déplacer, s’il le faut, tables et chaises. Cette simplicité est aussi exceptionnelle.

CF : Anybody else ?
CDS : Je terminerai mon palmarès par Michael Caton-Jones qui a accepté de venir soutenir exclusivement la promo de « Shooting dogs » parce qu’il estimait que le film le méritait alors que sortait en même temps son « Basic Instinct II »….

CF : Oups… ce n’est pas tout à fait le même créneau…
CDS : …Et il en était parfaitement conscient. Et il m’a dit laisser à Sharon Stone la promo
de cet instinct II.

CF : C’est ce qui s’appelle avoir du flair.
CDS : (rires)

CF : Quelle est la plus grande difficulté de votre métier ?
CDS : L’impression de maîtriser bien peu de choses. On est à la merci d’invités qui se décommandent au dernier moment, de journalistes qui ne partagent pas notre avis positif à propos d’un film, de spectateurs qui ne répondent pas à notre attente en n’étant pas assez nombreux à voir nos films. Ce qui est aussi une difficulté, c’est la sensation que les films s’enchâssent les uns aux autres à une vitesse telle qu’on n’a pas le temps de leur consacrer du temps. Il faut faire vite, trop vite et parfois on ne peut pas dédier à un film toute l’attention qu’il mérite.

CF : Lors des projections de presse, des documents sont remis aux journalistes sous forme de dossiers papier ou de CD. Qui les rédige ?
CDS : Ce n’est pas moi. C’est une des attributions des responsables de films qui travaillent à partir des dossiers de presse généralement fournis par les vendeurs des droits sur les films. En fonction de la langue dans laquelle ils sont rédigés, on les fait traduire ou pas.

CF : Les sorties DVD sont-elles de votre compétence ?
CDS : Non, elles sont du ressort d’une section « DVD » au sein de laquelle existe un organigramme semblable à celui de « Cinéart-films » avec ses propres responsables de la programmation et de la promotion.

CF : Un des derniers boxes sortis ?
CDS : La « Chantal Akerman collection » qui groupe 5 films réalisés dans les années 1970.

CF : La sortie de ce box est-elle couplée à la rétrospective que lui consacre actuellement Flagey ?
CDS : Je n’en suis pas sûre mais en tout cas c’est une bonne synergie

CF : Nous parlions rétrospectives. Intervenez-vous dans leur mise sur pied par la Cinémathèque ?
CDS : Il arrive que nous organisions quelque chose en commun. Ainsi lorsque Wim Wenders est venu présenter au Bozar son « Don’t come knocking » dans le cadre d’une rétrospective de son œuvre au Musée, il y a eu une collaboration entre Cinéart et la Cinémathèque au niveau des attachées de presse pour organiser les interviews.

CF : Parmi tous les films que vous avez vu y en a-t-il un que vous recommanderiez ?
CDS : Je vois beaucoup de films pour mon travail. Et j’en vois beaucoup pour mon plaisir. Faire un choix est difficile parce que j’aime plein de genres de films différents. Je dirai peut-être "The meaning of life" des Monty Pythons. Dans le genre non-sens c’est un vrai régal

CF : Merci Caroline De Schryver. Voilà une façon très philosophique de terminer un entretien : par une allusion, à ce qui préoccupe la plupart d’entre-nous : le sens de la vie.

(*) cinéaste hongrois dont Gus Van Sant reconnaît l’influence sur ses films, notamment « Gerry » (in magazine Positif hors-série mai 2007).