Yosra

C’est dans une chambre de l’hôtel Bedford, sur l’avenue Louise, que nous rencontrons l’actrice égyptienne Yosra. Présentée comme la « Catherine Deneuve » du cinéma du Maghreb, cette grande dame en a certes la classe et le pouvoir de fascination. Mais elle se relève au travers de cet entretien être bien plus qu’une image de pellicule. Ayant plus d’une centaine de films à son actif, elle ne s’est pourtant pas limitée au septième art, puisqu’elle a mis sa popularité au service de grande cause, tels que les Nations Unies. Chaleureuse et simple, Yosra parle avec passion de son métier et de ses espoirs, le sourire aux lèvres et le regard pétillant. Une belle rencontre, assurément. (Justine Gustin)

(CinéFemme) Hier soir, dans le cadre du Festival International du Film Indépendant,vous avez reçu le « Life Achievement in Film Award ». C’est un prix qui vous correspond bien, lorsqu’on regarde votre carrière.
(Yosra) C’est tout à fait ça. J’ai passé ma vie dans l’art, dans les films, mais aussi dans les associations caritatives. Cette partie de ma vie, les associations caritatives, est très importante pour moi. Je vis dans une partie du monde où les femmes sont encore opprimées. Il faut se battre pour faire en sorte qu’elles reçoivent plus de droit. C’est ce que j’essaye de faire depuis plusieurs années, en utilisant le champ artistique justement.

(CF) De quelle manière ?
(Yosra) Ces dernières années, j’ai joué et pris part à plusieurs séries télévisées. La télévision est un médium plus proche des gens.Elle les suit dans leur quotidien, elle est dans chaque maison. C’est donc plus facile de toucher les gens au travers de la télévision. Et de faire passer des messages importants. J’ai fait des séries aux sujets et thématiques importantes, notamment une sur le viol. Grâce à cette dernière, Égypte a adopté une nouvelle loi concernant le viol.

(CF) Dites-en moi plus.
(Yosra) Vous savez, le viol est encore un sujet très tabou dans nos pays. Les femmes qui en sont victimes se sentent coupables et n’osent pas porter plainte. Les hommes le savent, et comptent sur cela pour agir en toute impunité. La série dans laquelle j’ai tourné traitait du cas d’une femme qui ose porter plainte contre son agresseur et qui obtient gain de cause au procès. Cette série a connu un large succès et un certain retentissement. Par la suite, elle a servi de modèle lors d’un procès réel : une femme a osé porter plainte contre son violeur et le même jugement a été prononcé à l’encontre de ce dernier que dans la série.
J’avoue que cela m’a rendu très fière.

(CF) Quels autres sujets avez-vous abordé dans vos séries ?
(Yosra) Les trafics d’organes, la maltraitance des enfants, le terrorisme. La plupart du temps, je me suis battue pour que les séries soient réalisées sur base de fait réels. De cette manière, on rend public des réalités de ce monde et l’on peut donc espérer qu’en ouvrant les yeux des gens, leurs attitudes changent. Ils deviennent plus conscients du monde qui les entoure.
La dernière série que j’ai tournée traitait du fait de consulter un psychiatre. Si cette démarche peut vous sembler anodine, dans nos pays, elle est encore trop souvent jugée. Si une personne se rend chez un psychologue, elle est directement cataloguée comme étant folle. Je voulais aussi changer ce préjugé. Maintenant,ça devient mieux accepté.

(CF) Quand et pourquoi avez-vous décidé de devenir actrice ?
(Yosra) J’en ai eu l’envie très jeune. A 17 ans, je me souviens avoir été en admiration devant une actrice très populaire à l’époque et m’être dite : moi aussi je voudrais être adulée. Mais je n’y pensais que comme un rêve. Et puis soudain, l’année suivante, le rêve est devenu réalité.

(CF) Comment ?
(Yosra) Quand j’ai rencontré Youssef Chahine. Il m’aappris le métier. Il m’a expliqué que ce n’était pas suffisant d’être belle,d’être une femme fatale. Qu’il fallait aussi apprendre à comprendre ce quesignifiait jouer, être actrice. Il m’a emmené partout avec lui, sur desdizaines de tournages, pour m’apprendre le métier d’actrice. Au-delà de l’apparence,il m’a enseigné la comédie. J’ai vite compris que l’apparence n’était pas suffisante.

(CF) Quel regard portez-vous sur le cinéma égyptien, qui est si difficile à voir ici ?
(Yosra) Effectivement, je trouve qu’il est dommage que notre cinéma ne s’exporte pas d’avantage. Néanmoins, il y a toujours la solution des festivals. C’est l’occasion de découvrir de nouveaux cinéastes, de nouveaux cinémas, et peut-être de vous donner l’envie d’en connaître plus sur l’un ou l’autre. De là, vous pouvez vous renseigner, chercher à voir d’autres films et en apprendre plus sur un sujet précis.

(CF) C’est aussi une manière d’en savoir plus sur le monde qui nous entoure.
(Yosra) En effet, puisque très souvent, les films dans lesquels je joue sont inspirés de fait réels. Pour vous donner un exemple, j’ai tourné dans un film qui traitait de la guerre en Irak avec un point de vue différent de celui que l’on voyait sans cesse : celui d’une mère dont les deux fils se battaient l’un contre l’autre. Nous avons monté ce film aux États Unis. Je me souviens qu’à la fin du film, un homme est venu me trouver et m’a dit : « Je ne savais pas qu’une telle situation était possible. » Pourtant, ce film était inspiré de faits réels. Cet homme affirmait regarder les informations et se tenir au courant de l’actualité. Mais il n’avait qu’un point de vue sur les choses. Les films permettent d’élargir le regard. Et de donner envie d’en savoir plus sur les situations complexes.

(CF) Pensez-vous que le Cinéma Égyptien a changé depuis l’époque où vous avez commencé à jouer ?
(Yosra) Tout comme la société égyptienne change. Le cinéma est le miroir du monde…
Une chose dont je suis heureuse, c’est qu’il y a beaucoup de nouveaux réalisateurs qui arrivent actuellement. Ils sont très créatifs et motivés. Il apporte un renouveau au cinéma égyptien. J’aime beaucoup travailler avec eux parce qu’ils me poussent à évoluer, à incarner de nouveaux rôles, de nouveaux sentiments. Je trouve que c’est important pour moi de leur donner un coup de pousse et d’accepter de jouer dans leur film. Ils sont jeunes et ils méritent qu’on les aide un peu.Quand j’étais jeune, j’ai moi aussi eu la chance de rencontrer des gens qui m’ont fait confiance et qui m’ont aidée.

(CF) N’avez-vous pas l’impression que, ces derniers temps, il y a de moins en moins de premier rôle accordé aux femmes ?
(Yosra) C’est aussi le cas en Égypte. Il y a peut-être6 ou 7 réalisatrices qui réussissent à s’imposer dans l’industrie cinématographique égyptienne, ce qui est très peu. Même si ces dernières font un formidable travail…
C’est vrai que ces derniers temps, j’ai des difficultés à trouver des rôles qui me plaisent. Dans les années 70, le cinéma égyptien donnait beaucoup plus de place aux femmes. Maintenant, on a l’impression que c’est devenu un cinéma d’hommes.Les rôles féminins sont devenus secondaires et stéréotypés. C’est pourquoi je fais aussi des séries télévisuelles. Là, je peux imposer des rôles féminins forts.

(CF) Pourquoi croyez-vous que le cinéma se soit tant« masculinisé » ces derniers temps ?
(Yosra) Parce que les hommes ont peur des femmes !(rires) Ils se protègent ! Les femmes ont de plus en plus de pouvoir, et cela effrayent les hommes…

(CF) Vous êtes très impliquées dans des associations caritatives. Quelle en est votre motivation ?
(Yosra) Être membre du UNDP (United Nation Development Programm) est pour moi un moyen d’être plus consciente des réalités du monde.De là, je peux tenter de faire passer des informations que j’ai récoltés de cette manière. Au travers des séries télévisées, des films, je peux transmettre des messages importants et de la meilleur façon : en douceur, via le champ artistique. De cette façon, je peux suggérer un message sans être trop démagogique.

(CF) Vous avez également récemment accueillis Barack Obama en Égypte.
(Yosra) Ce fut une belle expérience. J’ai beaucoup d’espoir en lui. Il est arrivé à la tête des USA à un moment critique. Il a énormément de choses à résoudre : tous les problèmes créés sous l’ère Bush, il doit les réparer. Et forcément, il aura besoin de temps pour y parvenir. Et de soutien. C’est pourquoi je le soutiens totalement.

(CF) Merci beaucoup Mademoiselle Yosra.