Coup de coeur mensuel
3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s)

Coup de coeurTERRAFERMA

Emanuele Crialese

Filippo Pucillo, Donatella Finocchiaro, Tiziana Lodato, Mimmo Cuticchio, Martina Codecasa, Beppe Fiorello

88 min.
25 avril 2012
TERRAFERMA

Cinq ans après son dernier film, Emanuele Crialese ( Goldendoor, Respiro ) revient sur grand écran avec une œuvre très attendue.

 

Présenté lors de la ‘68e Mostra Internazionale del Cinema de Venise en 2011’ - Prix spécial du Jury - et sélectionné pour représenter l’Italie aux Oscars, Terraferma est la continuation naturelle du projet du cinéaste sur l’analyse du thème de l’immigration, de l’étranger et de l’autre.

 

La véritable protagoniste de cette œuvre est une île très similaire à celle de Lampedusa, terre d’à peine 20 km2 constituant une porte entre l’Europe et l’Afrique.

 

L’île est presque abandonnée et uniquement peuplée de pêcheurs à la retraite. Ernesto est le seul qui s’obstine encore à conduire son bateau de pêche décrépit.

 

Il est vieux, têtu, et constitue la véritable pierre d’angle d’une famille où trois générations se confrontent : celle, traditionaliste, du grand-père Ernesto, celle de Nino, superficielle et vouée au profit et enfin, celle du neveu Filippo qui semble bloquée dans une voie sans issue.

 

Ernesto conserve la sagesse et la boussole morale du vieux marin et sauve un groupe de clandestin en mer. « Un pêcheur n’abandonne personne à l’eau ».

 

En décidant de sauver ces africains abandonnés à leur destin et rejetés par la mer, les lois et la population de l’île il choisit de ne pas sombrer dans la décadence morale.

 

Le contraste entre les images éblouissantes d’une terre paradisiaque et l’indifférence ou l’endurcissement des cœurs est frappant. Il s’agit là d’un conte des tons vériste. Les traits de la famille des Malavoglia (de l’écrivain Giuseppe Verga) se retrouvent dans cette famille sicilienne. Et ce n’est pas un hasard si Crialese choisit souvent des acteurs non professionnels.

 

La rencontre entre deux humanités est éblouissante. Il y a d’une part la rescapée Timnit et d’autre part la jeune veuve Giulietta (nouvelle Sophia Loren ou Anna Magnani ?) femme et mère dans un monde encore trop plongé dans le conservatisme et la misogynie. Leur regard est celui d’une « pietas » enfin retrouvée.

 

De cette rencontre inattendue naît quelque chose de très important. Timnit/Sara revit son histoire sur l’écran* et Giulietta confrontée à cette femme qui lui serre le cœur, retrouve en elle un désir de changement et d’émancipation.

 

Ce sentiment est partagé par chaque spectateur qui reconnaît dans le microcosme de l’île le changement que l’immigration devrait déclencher dans la société occidentale. Les barricades et la crainte systématiques devraient laisser la place à la connaissance et l’évolution.

 

Des moments de poésie confirment Crialese comme un des rari nantes in gurgite vasto ** : un des réalisateurs italiens qui interprètent le mieux les regards particuliers et personnels du cinéma du Bel Paese. (Lucia)

 

 


* Timnit T. est la seule femme qui ait survécu (sur soixante-dix personnes), après 21 jours à la dérive sur une grosse barque, qui accoste à Lampedusa (île sicilienne).

 

** On aperçoit quelques hommes nageant sur l’immense abîme (Eneide, Livre I, 1-117)