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SON EPOUSE

Michel Spinosa

Charlote Gainsbourg, Yvan Attal, Janagi

107 min.
23 avril 2014
SON EPOUSE

Joseph (Yvan Attal) est vétérinaire à la SPA. Éperdument amoureux de
Catherine (Charlotte Gainsbourg), il lui demande de l’épouser. Charlotte esquive
sa demande, car elle doit d’abord lui révéler un secret : depuis plusieurs
années, elle est dépendante au Subutex, un opiacé de l’héroïne. Un drame au
sein du couple conduira Charlotte à disparaître sans laisser de traces. Ce
n’est que quelques mois plus tard que Joseph apprendra que son épouse a été
retrouvée morte près de Chennai (anciennement nommée Madras) dans des
circonstances non élucidées, et que, parallèlement, Gracie, une jeune Tamoule,
se dit possédée, depuis le jour de ses noces, par l’esprit de Catherine (ce que
l’on nomme un pey dans la culture hindouiste). Refusant dans un premier
temps de se rendre en Inde, il finira par entreprendre le voyage et aller à la
rencontre de Gracie. Dubitatif et athée, Joseph se retrouvera confronté à des
croyances religieuses qui défient tout cartésianisme.

 

Construit sur une structure narrative elliptique qui est compensée par
de fréquents flashs back, Son épouse suit les mouvements de la mémoire
lorsqu’elle cherche à (re)trouver le sens de plusieurs vies que le destin a
choisi d’unir et de séparer. Explorant la zone frontière qui relie parfois
folie et spiritualité, Michel Spinoza nous propose, à travers le regard
occidental de Joseph, d’ouvrir les yeux sur une culture étrangement mâtinée de
christianisme et de croyances hindouiste. Marchant sur les traces de
Saint-Thomas[1],
l’apôtre qui doute, Joseph, le sceptique, ne manquera pas d’être désarçonné par
un univers mystique situé à mille lieues de ses a priori. La dualité qui traverse
de part en part Son épouse est non seulement traduite à travers les
réactions de Joseph mais aussi explorée de manière spatio-temporelle grâce à un
incessant mouvement de va-et-vient entre la France et l’Inde. Toutefois, si
dualité il y a, celle-ci n’est jamais traitée de manière manichéenne, et la
méfiance cartésienne de Joseph ne force nullement le spectateur à croire à
l’existence des peys . Le contraste des paysages gris et mélancoliques de
la France, et d’une Inde lumineuse et luxuriante, concourt également à marquer
le fossé culturel qui sépare les deux continents. Deux espaces-temps à la
mesure du paysage mental des personnages centraux de ce film.

 

Bercé par les vagues de la Baie du Bengale, dérouté par une Gracie
autant envoûtée qu’envoûtante, éclairé par la radiance de la lumière du soleil à
travers le feuillage des arbres, Joseph se laissera peu à peu gagner par ce que
Romain Rolland qualifiait de sentiment océanique [2],
une notion psychologique et spirituelle qu’il objecta à « l’Avenir d’une
illusion » de Sigmund Freud. En revisitant cinématographiquement le débat
intellectuel qui opposa l’écrivain au psychanalyste à la fin des années 20, Spinosa
ouvre subtilement la voie à une réflexion dont le spectre s’étend de la
possession au sens le plus large à la question du deuil et du pardon :
transfiguration de la toxicomanie et de la possession, acceptation de la vie et
remords, deuil inaccompli car toujours hanté par la disparition de l’être aimé,
dépendance aux croyances induites par le berceau culturel et distance par
rapport aux doutes creusés par une psyché torturée et tortueuse.

 

Le duo Gainsbourg–Attal fonctionne en parfaite symbiose, et les moments
d’affrontement ou de silence qui les éloignent, rendent, paradoxalement, encore
plus prégnante la force amoureuse qui unit le couple. Gracie, jeune actrice
tamoule, qui a décroché son premier rôle dans ce film français, se révèle
fascinante. Le triangle « amoureux », tracé par les axes de l’amour,
de l’amitié et de l’envoûtement, confère au film une dimension mystique
supplémentaire, en deçà de la sphère strictement religieuse.

 

 

( Christie Huysmans )


[1] Saint-Thomas serait le
fondateur de l’Eglise en Inde du sud. Il y serait mort en martyr, dans les
années 70 après JC, sur la colline qui s’appelle aujourd’hui Mont Saint-Thomas,
près de Mylapore. Ses reliques se trouveraient dans la basilique Saint-Thomas
de Chennai.

[2] Le
sentiment océanique, formule inventée par Romain Rolland, se réfère à
l’impression de se sentir en unité avec l’univers parfois en dehors de tout cadre
religieux (sensation de l’éternel). En 1929, Romain Rolland fit parvenir à
Freud son Essai sur la mystique et l’action de l’Inde vivante . Freud lui
répondit notamment : « Combien me sont étrangers les mondes dans
lesquels vous évoluez ! La mystique m’est aussi fermée que la musique
. »