Ramdam 2018
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PATSER

Adil El Arbi et Bilall Fallah

Matteo Simoni, Hans Royaards, Junes Lazaar, Said Boumazoughe, Nora Gharib,
Nabil Ben Yadir

125 min.
24 janvier 2018
PATSER

Après « Image » et « Black », les plus hollywoodiens de nos réalisateurs belges, Adil El Arbi et Bilall Fallah, reviennent avec « Patser », un troisième long-métrage, inspiré selon leurs propres termes d’une « putain d’histoire vraie ». Un film que l’on « kiffe grave » ou que l’on abhorre selon l’état d’esprit avec lequel on l’aborde.

Certes, il ne faut guère s’attendre à des dialogues tissés dans la langue châtiée du 17ème mais bien à des échanges qui claquent voire à des joutes verbales qui font mouche. Les clichés et les stéréotypes abondent dans ce film d’action dont la prodigieuse mise en scène parvient à esthétiser des décors a priori peu glamour, tel le port d’Anvers, tout comme ce fut le cas dans « Black » pour Bruxelles, mais il faut avant tout y voir de la dérision et surtout une bonne dose d’autodérision eu égard aux influences pleinement assumées de ces deux talentueux cinéastes. De « Scarface » à « Seven », en passant par les films de Kung-Fu, les références sont légion, et l’on n’a guère assez d’une seule projection pour les identifier toutes. L’affiche aux couleurs fluo constitue d’ailleurs à elle seule une ode au kitsch dans toute sa splendeur !

Ça bouge, ça en met plein la vue, ça va vite, voire très vite, le rythme musical constant renforce la puissance de frappe des images, mais que le style plaise ou déplaise, nul ne pourra contester que « Patser » est totalement en phase avec sa génération et la jeunesse qu’il décrit. Une jeunesse qui vit en permanence avec les oreilles vissées à son lecteur mp3 (la bande originale est à ce titre une petite merveille) et qui évolue dans un univers totalement virtualisé, semblable à celui des jeux vidéo desquels s’inspire d’ailleurs parfaitement la réalisation. Une jeunesse qui a pour modèle, et ce, dès l’école maternelle, des « patsers », traduction : des mecs qui, vulgairement dit, se la pètent, et peuvent se permettre de se la péter car ils imposent le respect en raison de leur fortune (fût-elle acquise par des moyens illégaux ou très peu recommandables) et de leur capacité à faire taire, par la force et la violence, tous ceux qui s’aventureraient sur leurs plates-bandes.

Cependant, au-delà de l’aspect formel que l’on peut aisément qualifier d’abouti et qui, en dépit de toutes ses influences américaines, conserve cette indéfinissable belgitude, « Patser », c’est aussi et surtout un film où tout le monde en prend pour son grade (population émigrée, partis d’extrême droite, police, juges, avocats, bobo, journalistes et autres artistes ethnico-bio…), et qui nous confronte frontalement à un vieux secret de polichinelle bien gardé : la consommation de cocaïne. Car, oui, que l’on veuille ou non l’admettre, la consommation de l’or blanc n’est pas le seul fait d’individus pauvres, paumés ou marginalisés, que du contraire : la coke enfarine bel et bien le nez de toutes les couches socioculturelles, tous âges et toutes professions confondues, et ce, même les plus respectées à défaut d’être respectables. Et c’est là une réalité belgo-néerlandaise dont nous n’avons guère le monopole européen et qui, certes, dérange beaucoup de monde mais vis-à-vis de laquelle il serait suicidaire de continuer à faire l’autruche sous peine de retrouver, d’ici quelques années, dans les cartables de nos écoliers non plus seulement du cannabis mais de la poudre blanche. Par ailleurs, s’il fallait encore ajouter une preuve au fait que « Patser » est indéniablement en phase avec notre époque : à peine quelques jours après la sortie du film, un vaste réseau de trafiquants de drogue fut démantelé par les polices belges et néerlandaises, conduisant à l’arrestation de dix-sept personnes…

Enfin, non, « Patser » ne fait ni l’apologie du crime ni un plaidoyer en faveur des paradis artificiels. Que du contraire !

Christie Huysmans