Coup de coeur
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Coup de coeurNUE PROPRIETE

Joachim Lafosse (Belgique/France 2007 - distributeur : Cinéart)

Isabelle Huppert, Jérémie Renier, Yannick Renier, Kris Cuppens

92 min.
24 janvier 2007
NUE PROPRIETE

92 minutes de tension sourde et crescendo entre une mère qui souhaite refaire sa vie et ses deux fils qui s’y opposent.

La construction scénaristique et formelle de "Nue propriété" a la forme, implacable et claustrophile, d’un rectangle, dont 3 des angles sont les personnages du drame auxquels vient s’en ajouter un quatrième sur lequel vont se concentrer les non-dits, les ratés, les émotions latentes qui sous-tendent le trio familial : la maison. Une belle ferme dont les travaux de rénovation semblent en attente si ce n’est les volets sur lesquels s’acharne François, le plus tendre des deux frères jumeaux, dans l’espoir peut-être d’ouvrir le huis clos à un extérieur qui pourrait en gommer l’aridité et la violente exlusion de tous ceux qui tentent d’y entrer.

Le cinéaste poursuit avec ce film la réflexion amorcée dans son premier ouvrage, un court métrage « Tribu » - l’itinéraire d’un adolescent dans une famille recomposée – et développée dans son premier long « Folie privée » - déclinaison moderne de « Médée » sur le refus de la séparation.

Le cinéma de Joachim Lafosse a l’exigence des meilleurs Herzog avec lequel il partage cette capacité de puiser dans un vécu propre, mais qui accepte d’être nourri par celui de ses acteurs, pour en tirer un regard, un « œil-camera » qui trouve de l’entendement, même fictionnel, à ce qui pourrait s’apparenter à un fait divers tout en débusquant l’énigme du désir qui conduit chacun de nous.

Thierry, le fils qui semble le plus opposé à la mère l’est-il parce qu’elle souhaite vendre la maison familiale - cette métaphore du cordon ombilical que l’on répugne à couper parce qu’il est l’ultime rempart contre la nécessaire entrée dans l’âge adulte - ou/et l’est-il en réaction au sentiment de jalousie qu’il éprouve d’une complicité entre celle-ci et son jumeau ?

Le cinéma de Lafosse secoue parce qu’il confronte le spectateur à deux réalités : celle, sans concession (*) représentée sur l’écran et celle plus intime qui renvoie le regardant à son propre rapport au lien familial.

Isabelle Huppert incarne à merveille ce "jouer flexible" qui allie instinct et réflexion, les deux Renier sont magnifiques, passant avec un naturel déconcertant du registre des frères taquins à celui des frères opposés. Kris Cuppens habite ses scènes avec sa force et sa justesse de ton habituelles.

La forme du film cerne l’enfermement des personnages de plans fixes (comme chez Aki Kaurismaki) avant de s’ouvrir, par un dernier mouvement de caméra à la fulgurante beauté, sur une brisure du rectangle permettant à « Nue Propriété » de se terminer sur un élan salvateur parce qu’il met à distance. Parce qu’il contient, comme le titre du morceau musical qui l’accompagne, la possible résurrection (**), sur d’autres bases, de relations brisées.

Dans cette lutte contre ce qu’Ibsen appelait « les trolls de l’âme », Lafosse trouve une porte de sortie : celle des limites, qui invoquées en prélude au film, permettent d’orienter les choix de vie autrement.
De trouver un sens qui permettra de reconstruire à l’image de la mère qui ramasse les morceaux de verre de la table contre laquelle s’est fracassé le lien exagérément fusionnel de deux frères autant unis qu’ennemis. (m.c.a)

 

(*) bravo à la monteuse Sophie Vercruysse dont le travail au "couteau" (plus qu’aux cieaux) est remarquable

(**) renvoi au prénom "Pascale" de la mère qu’elle soit celle de "Folie Privée" ou de "Nue propriété".