Coup de coeur mensuel
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Coup de coeurALEXANDRA

Alexander Sokurov

Galina Vichnevskaïa, Vassili Shevtsov

92 min.
31 octobre 2007
ALEXANDRA

Il est facile de dénoncer les horreurs de la guerre. Images-choc et discours édifiant à l’appui. Il est plus difficile d’en parler en faisant choix d’une voie minimaliste dont la force puise aux sources de la compassion et de la bonté.

On connaît l’audacieuse ampleur du regard de Sokurov, qui avait, dans l’ « Arche russe », su embrasser en un seul plan séquence la vitalité et la diversité de l’histoire de son pays.

On connaît aussi sa sensibilité à saisir l’intime des relations familiales (*), son talent à retenir l’essentiel d’une défaite (**), d’une personnalité (***). Faisant chaque fois preuve d’une perfection stylistique étonnante, mélange de limpidité formelle et d’intelligente dramaturgie.

Venue en train de Saint Pétersbourg, Alexandra Nikolaevna débarque à Grozny - le film y a été tourné - pour rendre visite à son petit-fils, officier russe dont la mission est de « maîtriser » la révolte des Tchétchènes.

Elle passera trois jours dans une base militaire, le temps de réconforter des recrues démoralisées, de prendre conscience de leur jeunesse engluée dans la routine de la vie militaire, d’errer dans des paysages balisés de chars et de sentinelles, de renouer des liens affectifs avec un petit-fils qu’elle peine parfois à reconnaître dans son rôle de meneur d’hommes.

Le temps aussi de se rendre au marché local et d’y faire la connaissance d’autochtones, dont il ne reste, dans une ville dévastée, que des enfants, des vieillards et des femmes. Ceux dont la guerre ne veut pas et qui essayent tant bien que mal de survivre et de se réchauffer dans l’improbable retour des combattants.

Le temps surtout de se voir offrir le thé par des babouchkas caucasiennes et de se rendre compte qu’entre elles et elle les ressemblances priment sur les différences.

Loin de toute intention propagandiste, politique - certains ont même employé le mot poutiniste - « Alexandra » se veut et est un film humaniste, intemporel et universel. Un plaidoyer pour une fraternisation entre ennemis, un hymne à la main tendue à l’Autre.

Cette main, ce sont des femmes qui se la donnent. Rappelant, par leur simple présence tranquille, qu’à côté de la volonté de combattre il y a le courage de se réconcilier.

C’est Galina Vichnevskaïa, la cantatrice, l’épouse du défunt Rostropovitch et une des plus ardentes opposantes au régime soviétique des années pré-Brejnev, qui donne à Alexandra - qui ne porte pas gratuitement le double féminin du prénom du réalisateur - son poids de sagesse, d’années et de douceur. De navrance et de tristesse aussi parce qu’elle (il) sait, par expérience, que l’entente entre plusieurs ne scelle pas la paix de tous.

Admirablement joué, « Alexandra » est admirablement coloré. De ce brun-ocre qui rappelle la couleur de la terre pour laquelle on se bat. De la terre qui ensevelit, les réunissant à jamais, les agresseurs et les agressés.

Même si elle est reléguée en hors-champ, la guerre est l’invitée omniprésente de ce film pacifiste.

Elle le plombe d’une mélancolie que les bouleversantes embrassades en fin de film ne suffisent pas à dissiper.

Et en même temps, puisque ses embrassades existent, elles témoignent d’un espoir. Espoir d’un pardon, d’une entente possible, portés à bouts de bras et de cœurs par celles qui savent, parce qu’elles la portent et la donnent, que la vie est précieuse. (m.c.a)

(**) « The sun » (2006)
(**) « Mother and son » (1994), « Father and son » (2003)
(***) Hitler dans « Moloch » (1999) ou l’auteur d’« Une journée d’Ivan Denissovitch » dans ses « Dialogues avec Soljenitzyne » (1998)