Coup de coeur
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Coup de coeurIL Y A LONGTEMPS QUE JE T’AIME

Philippe Claudel (France 2008 - distributeur : Benelux Film Distributors)

Kristin Scott-Thomas, Elsa Zylberstein

115 min.
19 mars 2008
IL Y A LONGTEMPS QUE JE T'AIME

Juliette et Léa. Léa et Juliette. Toutes les deux nées Fontaine. Que la vie a séparées pendant 15 ans.

15 années durant lesquelles l’une, Elsa, a réussi une maîtrise de lettres, est devenue chargée de cours à l’université de Nancy - ville à laquelle le réalisateur rend un bel hommage (*) -. S’est mariée, a adopté deux petites filles vietnamiennes.

A pris en charge la triste fin de vie de parents qui n’ont pas toujours été à la hauteur d’une situation délicate qui est racontée au spectateur avec retenue. Un peu comme si Philippe Claudel effeuillait, avec une bienvenue lenteur, une marguerite. Vers un cœur fait d’apaisement, d’amour et de reconstruction.

C’est pétale après pétale qu’il nous invite à entrer dans l’univers de Juliette qui a passé trois lustres en prison. Pour le meurtre de son jeune fils. Sans recevoir la visite des siens pour lesquels son geste a signé une sorte de mort civile.

Peine affective, plus lourde à porter que la sanction judiciaire, qui est dévoilée, au rythme irrégulier de silences, de heurts langagiers et de brutal aveu, par une Kristin Scott-Thomas magnifique qui apporte à ce rôle, par une absence totale d’artifice narcissique, une émotion croissante.

Emotion qu’elle n’est pas seule à porter. Qu’elle partage avec une Elsa Zylbestein tout aussi convaincante. Dont le visage mouvant, la volubilité des sourires et les gestes tantôt attentifs tantôt malhabiles sont pour beaucoup dans la réinsertion de Juliette dans le flux de l’existence.

Entre pudeur et douleur, culpabilité et besoin de pardon, séquences intimes et scènes de groupe, « Il y a longtemps… » est un film qui s’inscrit en vous avec une sobre évidence qui, à certains moments, serre la gorge et donne envie, osbtinément envie, que les deux sœurs renouent avec l’affection qu’elles avaient enfants l’une pour l’autre.

Donne envie que Juliette se lâche et clame enfin sa douleur. Peu importe la forme hystérique de celle-ci, elle est à la mesure du drame vécu et assumé seule, sans épaule sur laquelle s’épancher.

Donne envie enfin que cette femme absente d’elle-même, absente des autres, soit de nouveau là.
Présente, prête à renouer avec la vie et à rendre à une cadette la générosité de son accueil.

Le cinéma, lorsqu’il réussit à frôler l’intériorité des êtres blessés, à nous faire glisser, sans pathos et incongruité voyeuriste, de leur extérieur, vers leur intimité intérieure et enfouie, est du beau cinéma.

N’en déplaise à Pascal Marigeau, l’excellent critique du « Nouvel Observateur » et à Jean-Louis Dupont, le tout aussi pertinent chroniqueur de l’émission rtbéenne « Première séance », « Il y a longtemps… » n’est pas un film surligné, surexposé, surjoué.

Il est un regard empreint d’humanité sur une renaissance.

Une renaissance qui est rendue possible parce que deux femmes, malgré les épreuves, malgré le temps souvent sentimentophage, ont su préserver à l’amour qu’elles se portaient une place essentielle.

Y a-t-il plus bel hommage à la toute puissance de ce lien mystérieux - décliné trop par le 7ème art sur le ton de violents arias - qui a pour nom sororité ? Et qui - dans le meilleur des cas comme ici - fait de l’une la protectrice de l’autre selon les tours de manège que réserve le destin.

En sortie concomitante au film, les éditions Stock proposent un intéressant abécédaire de réflexions du cinéaste (**) sur son œuvre : « Petite fabrique des rêves et des réalités ». (m.c.a)

(*) Les lieux fascinent le cinéaste/écrivain. Pour s’en rendre compte, il suffit de le suivre dans l’égrènement des souvenirs de sa ville natale (où il vit toujours) Dombasle-sur-Meurthe dans « Quartier » édité par La Dragonne
(**) Dont les liens avec la mise en scène datent de 2002, année de sa collaboration scénaristique avec Yves Angelo « Sur le bout des doigts ». Collaboration affirmée en 2005 par l’adaptation des "Ames grises » de l’écrivain Claudel par le même Angelo. « La petite fille de Monsieur Linh » réalisé par Richard Berry avec Gérard Depardieu, est actuellement en post production.