Chef d’oeuvre
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Coup de coeurHUNGER

Steve McQueen (Grande-Bretagne - distributeur : Paradiso Filmed Entertainment)

Mickaël Fassbender, Liam Cunningham, Stuart Graham

90 min.
12 novembre 2008
HUNGER

Tout d’abord un son, indistinct, qui peu à peu s’affirme. Un martèlement violent. Des couvercles frappés rageusement contre le sol, en signe de protestation. De refus. Un visage est capté, celui d’une jeune femme, déformé par la rage.

C’est par ce son rageur que l’on pénètre dans « Hunger ». Un bruit fort et entêtant qui ne quittera plus le spectateur jusqu’à la fin. Il est le signe de la rébellion dont font preuve les protagonistes du film. Signe de la détermination qu’ils déploient, envers et contre tous, pour se faire entendre, et parvenir à imposer leur demande. 

« Hunger » conte l’histoire de Bobby Sands, prisonnier incarcéré en 1981 pour des crimes commis au nom de l’IRA. Alors que le gouvernement lui refuse, ainsi qu’à ses compagnons de fortune, le statut de prisonnier politique, Bobby Sands entame une grève de l’hygiène, suivie par une grève de la faim, qui lui sera mortelle. Les faits sont connus, ils sont inscrits dans l’Histoire, même si l’on a un peu tendance à les oublier dernièrement.

Ceci n’est que le canevas narratif, la thématique prétexte. Au-delà, il y a la volonté de pénétrer un univers, celui du monde carcéral de 1981 en Irlande du Nord. Celui que connurent tous ces détenus enfermés pour une cause qu’ils défendaient, à corps et à cris. Steve McQueen tente de révéler cette atmosphère dans ce qu’elle a d’ordinaire comme d’extraordinaire.

Dans l’aspect routinier qui y règne, même si cette routine consiste en le tabassage terriblement violent des prisonniers, en l’humiliation constante de ces derniers, qui pourtant, refusent de plier et campent sur leur position, malgré les agressions répétées.

C’est aussi la base thématique pour capter à l’écran l’inacceptable, l’inenvisageable : le processus de dégradation corporelle lors d’une grève de la faim. Décrépitude lente qui mène à la mort, au dernier souffle d’un corps dont il ne reste plus que les os sur lesquels s’étire une peau meurtrie, déchirée, lacérée.

Le visage de Bobby Sands, magistralement incarné par Mickaël Fassbender, décharné, exorbité, n’est plus qu’illumination. Vision hallucinée de ces derniers instants où son passé revient le bousculer une dernière fois. Comme pour le conforter dans son choix radical. Comme pour le consoler, pour le bercer, une ultime fois.

Venant de l’expérimental et des installations vidéo, Steve McQueen fait preuve d’une maîtrise totale et remarquable de l’image. Il utilise le dispositif filmique de façon extrême, qui devient support suggérant le ressenti des personnages. La caméra pénètre le mouvement émotionnel des protagonistes et le révèle par ses propres mouvements. Ainsi le lent rapprochement vers le gardien fumant, ou encore le balancement au dessus du lit du mourant, qui rendent évident ce qu’aucun mot, aucune explication d’aucune nature ne pourraient décrire. 

Le réalisateur fonctionne par signes, par la monstration de parcelles qui révèlent l’ensemble. La main blessée d’un gardien enragé. Le mur fresque couvert d’excréments. Les doigts passés au travers de la grille d’une fenêtre. Ces gros plans suggèrent sans agresser. Ils donnent à voir les gestes posés, les manipulations chorégraphiées de ce monde à part.  

En alternance avec ces plans rapprochés, Steve McQueen distille des plans larges, globaux, où s’étalent l’espace de la prison, son architecture systématique, déshumanisée. Ses longs couloirs peuplés de portes et de barreaux, ses salles bondées réservées aux gardiens, sa baignoire à l’eau rougie de sang. Un lieu, capté dans sa profondeur spatiale, pour en révéler la nature profonde.

Le monde carcéral est également dévoilé par le travail sur la temporalité effectué par le réalisateur. Un temps à part, non plus régi par les rythmes habituels, quotidiens, mais par l’attente, par une durée interminable où ce sont les agressions et les visites qui deviennent repères.

La réalisation de « Hunger » est aussi exemplaire au niveau de sa bande son. Majoritairement marquée par le silence, ce sont les bruits qui y ont le dessus ; ceux des vêtements froissés, des excréments frottés contre les murs, des mouvements de raclette lavant l’urine répandue, des coups portés au corps des détenus. Des corps champs de bataille [1] dont la nudité contraste avec l’uniforme des gardiens.

Il n’y a que peu de dialogues. Les rares qui y sont présents se révèlent essentiels dans leur caractère de banalité. Un récit de souvenir enfantin devient celui qui finalement fait sens, de façon imprévisible. Enfin, quelques notes de musiques apparaissent, à la dérobée. Soulignant l’humanité qui persiste, même si elle est sans cesse en péril, menacée dans un contexte tel qu’une prison.

Steve McQueen signe un premier long métrage à la force visuelle rare. Une réalisation qui ébranle d’une façon irrémédiable, tant par son aboutissement stylistique que par sa justesse narrative. Un film qui hante longtemps après avoir franchi la porte de la salle obscure.

(Justine Gustin)

[1] Selon les propres termes du réalisateur.