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DANS LA MAISON

Karima Saïdi

Documentary

90 min.
23 juin 2021
DANS LA MAISON

À l’époque où Karima Saïdi apprend que sa mère est atteinte de la maladie d’Alzheimer, elle la voyait peu. Comprenant qu’elle allait devoir s’en occuper, la cinéaste avait entamé l’écriture d’un journal de bord, qui a découlé dans un documentaire intimiste et touchant sur cette nouvelle rencontre avec sa mère. Dans la maison est le questionnement de Karima, qui cherche à connaître le parcours de sa mère, de sa vie, de Tanger à Bruxelles, des choix qu’elle a fait et des choses qui se sont imposées à elle. Avant qu’il ne soit trop tard, que la mémoire ne soit engloutie par la maladie, la mère répond entre amour et agacement aux questions de sa fille, comme si elle désirait se raccrocher à elle, mais qu’en même temps, elle voulait qu’on lui foute la paix, que l’on ne vienne pas remuer tout ce passé. Des réponses brèves, à la spontanéité enfantine, mais graves aussi, révélant des bribes de vérité enfouie. Et les silences, volontaires ou non, qui garderont à jamais ses secrets de famille.

Dès la première scène, à la question si elle préfère écouter de la musique andalouse ou le Coran, la mère préférera d’abord la musique andalouse, puis le Coran, et ainsi de suite. Ce choix musical changeant, a priori anodin, résume en fait le tiraillement qui a marqué la vie et le destin de cette femme, basculée entre deux cultures, deux manières d’être au monde. Un entre-deux inévitablement paradoxal, où l’amour de la liberté et l’amour de la tradition ne veulent pas souvent se tenir la main.

En cherchant à mieux connaître sa mère et son histoire, soit ses origines, Karima Saïdi est poussée par un élan, celui d’être en paix avec elle-même, et cela passe, tendrement, par le souci d’apaiser sa mère et de la savoir en paix avec elle-même. Elle choisit de ne pas la filmer, par pudeur, car ç’aurait été trop personnel, et ce sont donc leurs voix enregistrées qui animent ce voyage ressemblant à un album photos que l’on aurait pu trouver au marché aux puces.

Au fil des clichés, le visage de la jeune femme, qui va devenir sa mère, se transforme, jusqu’au jour d’aujourd’hui, soit celui du temps de l’enregistrement, où son regard semble être celui d’un petit animal sauvage en captivité, fragile et apeuré mais doté d’une force que l’on a envie d’embrasser. Au fur et à mesure, les clichés de Karima se rapprochent de ceux de sa mère, jusqu’à les mettre côte à côte dans une petite rafale identitaire. N’ayant pas pu filmer sa mère en temps réel lors de sa vie, Karima décide aussi de braquer sa caméra sur des femmes inconnues, voilées dans l’espace public, tantôt à Tanger, tantôt à Bruxelles, qui détournent furtivement le regard à la vue de l’objectif. Sa mère, c’est aussi toutes ces mères, toutes ces femmes, sur lesquelles on peut projeter nos histoires.

La force de ce documentaire ne réside pas seulement dans le fait de réussir à animer, grâce à un montage subtil, des photos parfois très floues, donnant une sensation impressionniste, mais aussi pour ce qu’elle nous donne au niveau du contenu. Les rôles inversés de mère et fille, le surréalisme dû à la maladie de certaines répliques de sa mère lorsqu’elle dit par exemple « Ma fille est plus jeune que moi », nous plongent dans un monde inconnu et pourtant bien réel que l’on a tendance à rendre tabou.

Mais on est où ? Dans la maison. Mais dans la maison de qui ? Dans la maison de Karima.

Luz