Marion Cotillard, Matthias Schoenaerts, Bouli Lanners
Un goût de rouille et d’os
Les contes modernes de Jacques Audiard sont toujours empreints de violence, de solitude et de sentiments brisés. Libérés de la noirceur du milieu carcéral d’ Un prophète , les personnages de De rouille et d’os évoluent dans les espaces ouverts et lumineux d’Antibes, mais restent néanmoins des individus blessés, livrés à eux-mêmes et devant lutter face aux drames que leur a réservés la vie.
L’histoire est celle de la rencontre entre deux êtres paumés, deux mondes différents qui se réunissent dans la souffrance et qui s’insufflent la vie l’un à l’autre, au point de devenir inséparables et complémentaires. Instinctif et viril, Ali est la bête qui sauve la belle et vulnérable Stéphanie. Lors d’un de ses shows de dresseuse d’orques, Stéphanie est victime d’une catastrophe spectaculaire dans laquelle elle y laisse ses deux jambes. À partir de là, commence une romance où délicatesse et brutalité se côtoient de près.
Mais, plutôt que de nous faire ressentir la souffrance de la jeune femme, la solitude dans laquelle s’est renfermée la bête qui ne communique qu’avec son corps, ainsi que le dévouement naissant de l’un envers l’autre, l’auteur semble s’être perdu dans les multiples possibilités qu’offrent inévitablement toute histoire et ses nombreux personnages. La sœur d’Ali et son fils Sam sont touchants, mais ne servent au final qu’à davantage de tragédie. Trop de drame tue le drame et l’on n’a plus envie d’y croire. D’ailleurs, le regard que semble nous prêter Jacques Audiard est celui du voyeur interloqué par une Marion Cotillard amputée, trucage effectivement très réussi. Visuellement, il y a des moments magiques et oniriques, mais ce ne sont là que quelques gouttes d’eau dans un tout qui reste superficiel.
Difficile sans doute de faire mieux que son remarquable Un prophète, dont on ne retrouve pas la force psychologique. Pourtant, le choix des acteurs est judicieux et nous retrouvons un épatant et singulier Matthias Schoenaerts qui campe un rôle proche de son précédent Bullhead , ainsi qu’un formidable et crapuleux Bouli Lanners qui organise des combats illégaux, pour ne citer que nos stars nationales !
Un goût de rouille et d’os est un recueil de nouvelles de Craig Davidson , publié en 2005, dont s’est inspiré l’auteur du film. Si vous aussi, vous pensiez que « de rouille et d’os » concernait les jambes tantôt de chair et d’os et tantôt de métal qui peut rouiller, sachez qu’il s’agit (en premier lieu) du goût du sang lorsqu’on se prend un poing sur la lèvre et que l’os craque.
(Islin-Lucrezia De Fraye)