Óscar de la Fuente, Javier Bardem, Manolo Solo
Le thème du patron dans le monde capitalisme a été et est souvent traité par le cinéma européen que ce soit sous l’angle du patron exploiteur cynique ou du patron entrepreneur dynamique, humain, en proie à tous les états d’âme.
Récemment « Un autre monde » film français de Stéphane Brizé avec Vincent Lyndon a mis en scène un patron d’une entreprise d’un groupe mondialisé qui se bat pour sauver ses salariés. Un film fort, dramatique sur un patron broyé par la machine capitaliste.
Dans « El buon patron » de Fernando León de Arenoa, c’ est tout l’inverse : Julio Blanco, propriétaire charismatique et à priori fort sympathique d’une entreprise qui fabrique des balances industrielles dans une ville espagnole de province, attend la visite imminente d’une commission qui décidera de l’obtention d’un prix local d’excellence. Tout doit être parfait pour la visite. Pourtant, les problèmes arrivent un à un : un ouvrier congédié qui campe sur le terrain en face de l’entrée, un ouvrier qui, assommé par le départ de sa femme, commet erreur sur erreur dans l’usine, une superbe stagiaire qui se joue de lui, tout semble se liguer contre Julio Blanco. Travaillant contre la montre, Blanco essaie de résoudre les problèmes causés par ses employés et là le scénario explose, révélant un patron, cynique, manipulateur, hypocrite, capable de franchir toutes les lignes rouges de l’honnêteté pour arriver à ses fins à savoir que la visite de la Commission de contrôle se passe bien et qu’il emporte ce fameux trophée qu’il va clouer sur son tableau d’honneur, comme des dizaines d’autres trophées à sa gloire .
Le spectateur assiste en fait à une démonstration de haut vol de la manipulation du patron sur ses employés : scènes grandioses du patron jouant le père attentif à leurs besoins, mettant en avant l’importance qu’ils ont dans la marche de l’entreprise, flattant leur égo, s’intéressant à leurs problèmes familiaux pour ensuite , au moment où il le jugera opportun, les laisser tomber, les humilier en douceur en leur enfonçant – au figuré- un couteau dans le dos et en les enrobant d’un discours paternaliste.
Le génie de Fernando León de Arenoa est d’avoir fait de ce drame social un film très drôle. Entre drame et humour « cela fonctionne comme un balancier : plus c’est dramatique et difficile , plus l’humour est nécessaire » dit-il. C’est du cynisme distillé, c’est un film coup de poing mais enrobé de satin, servi par un acteur sublime Javier Bardem, qui par son jeu si subtil , brouille les pistes , offrant au spectateur une série de doubles sens et de métaphores.
L’équilibre de la balance dont un exemplaire - la première construite par l’entreprise familiale-. est placé à l’entrée de l’usine comme pour représenter la Justice (la justesse ?) est une trouvaille et pourrait être le symbole de ce film oscillant entre apparences et vérités .
Fernando León de Arenoa fait partie des réalisateurs les plus importants du cinéma espagnol actuel ; Il est généralement considéré comme le chef de file de la veine sociale du cinéma espagnol contemporain. Avec « El buon Patron » il réalise une comédie satirique de haut vol sur les mécanismes pervers du capitalisme. Les dialogues sont ciselés, le suspense fonctionne si bien que jusqu’à la dernière scène .. mais chut….
Vous aurez compris qu’il ne faut surtout pas rater ce film qui a remporté le prix Goya du meilleur film espagnol, avec six récompenses dont celles du meilleur réalisateur, du meilleur acteur (Javier Bardem) et du meilleur scénario.
France Soubeyran