Ich bin dein Mensch

Le film « Ich bin dein Mensch“(1) de Maria Schrader pose la question de l’intelligence artificielle dans la vie quotidienne, et au delà, de la nature des relations humaines que l’intelligence artificielle peut remplacer.

Berlin , aujourd’hui : afin d’obtenir des fonds de recherche pour ses études, Alma ( Maren Eggert ), une scientifique d’âge mur, chercheuse en anthropologie au Musée de Pergame accepte une offre de participer à une expérience pendant trois semaines : elle doit vivre avec un robot humanoïde, Tom ( Dan Stevens ) créé pour la rendre heureuse et donc être son partenaire idéal.
S’inspirant de la nouvelle d’ Emma Braslavsky, Maria Schrader (2) amène le spectateur à se demander si le partenaire parfait sous forme de robot ressemble à un rêve devenu réalité ou à un cauchemar totalement déstabilisant. « Nous n’en sommes pas si loin", dit-elle. "Nous avons déjà affaire à l’intelligence artificielle dans de nombreux domaines de notre vie. ….. Les robots humanoïdes étant si bien conçus qu’on peut à peine les distinguer des humains. Je dirais instantanément : "Oh mon Dieu, jamais !"
Et, pour y répondre, Maria Schrader emmène le spectateur dans une comédie époustouflante, dérangeante où chaque scène nous oblige à nous questionner : "Cela pose des questions auxquelles nous, en tant qu’écrivains, n’avions pas encore vraiment de réponses", explique-t-elle et poursuit : « Les humains sont-ils capables d’entamer une relation avec une machine ? Avec un robot très avancé ? Y a-t-il quelque chose comme un vrai sentiment ? Est-ce qu’un sentiment performé a moins de valeur ? »
Si le ton est léger, en demi-teintes, l’analyse est profonde. Les deux acteurs sont merveilleux, et, ce, de manière très différence : elle, l’intellectuelle perturbée par ses émotions ressenties que son intelligence lui dit de refuser ; lui, l’homme robot, si beau devenu presque humain, attachant, plein d’humour et de charme qui arrive, dans certaines scènes, à nous faire oublier sa nature (parfois il a des ratés et il faut le re-programmer !)

Sur ce thème , il aurait été très facile de réaliser un film de science-fiction avec des personnages manichéens et des luttes de pouvoir entre « êtres » de nature différente. Et bien justement pas : « Ich bin dein Mensch“ est un film d’analyse des émotions et en plus une histoire à contrecourant des stéréotypes habituels car le robot n’est pas une femme conçue pour servir un homme :
« Pour une fois, voir l’homme traité par elle comme un objet, comme un outil – un outil fabriqué pour exaucer les souhaits et les désirs d’une femme. C’est la raison de son existence. Et je pense que c’est encore une expérience à laquelle nous ne sommes pas tellement habitués. » dit la réalisatrice
Quand Tom se montre capable d’analyser très précisément les émotions humaines, le spectateur est totalement déstabilisé, troublé par l’émotion ressentie par Alma qui ne peut pas l’expliquer à Tom puisqu’il est un robot ….
Car le vrai sujet, ce sont nos émotions, nos rêves, : l’être humain souhaite-t-il vraiment la satisfaction de ses désirs à travers l’autre et par l’autre ou ne lui est-il pas nécessaire d’être confronté à la désillusion, l’imperfection , l’incompréhension ?
Il s’agit d’un film magistral qui évite tous les pièges attendus et nous interroge avec légèreté et humour sur nos motivations dans notre recherche de relations humaines harmonieuses (ou pas) et au sens large dans la recherche du « bonheur »
Film à voir et revoir

France soubeyran

(1) (I am your Man) Difficile de traduire en français cette notion, car « Mensch » ne signifie pas « Man » mais « être humain, personne »
(2) Sans doute connaissez vous déjà Maria Schrader : Elle a joué Lenora, l’espionne est-allemande manipulatrice dans Deutschland ’83 et ses deux suites. Elle a, en tant que réalisatrice décroché un Emmy pour avoir dirigé la série « Unorthodox » de Netflix