Ksenia Rappoport, Filippo Timi, Antonia Troppo
Deux films français sortis cet été et encore à l’écran - « Le crime d’amour » d’Alain Corneau et « Insoupçonnable » de Gabriel Le Bomin - soulignent et rappellent à quel point le polar est un genre difficile.
Qui entretient avec son grand frère le cinéma américain, des rapports dont il sort rarement grandi.
Si le réalisateur de la « La doppia… » choisit, avec une certaine témérité, de s’intéresser à ce genre-roi, c’est par le biais d’une autre voie. Plus éclatée, plus schizophrénée.
Délaissant l’option de la rivalité de front avec ses collatéraux US, il décide de prendre la tangente et de s’éloigner des exigences et paramètres du film noir.
S’égarant dans un labyrinthe de références multiples - la romance, le fantastique, le mélodrame, l’uchronie. Parti pris, qui s’il enlève au propos scénaristique une évidence unitaire, lui confère un mystère qui, si l’on excepte quelques faiblesses et surlignages symboliques pardonnables pour un premier film, fascine et déroute.
Elle est femme de chambre dans un grand hôtel turinois. Il est gardien, ex-flic désabusé, d’une luxueuse propriété. Ils se rencontrent lors d’un speed dating.
Très vite la romance tourne court. Et devient autre chose de presque métaphysique (*). A force d’habileté dans les emboîtements d’intrigues, de doutes sur les rapports entre le passé et le présent, de questionnements sur les secrets supposés des « Doppia ora ». Ces horaires doubles tels que 23 heures 23 ou 11 heures 11.
La ville de Turin, nimbée d’une lumière froide, métallique,presqu’« antonionienne », est l’espace rêvé pour ce film qui tente de donner corps à une temporalité complexe comme dans les dessins sans fin et début d’Eischer.
Tout comme l’interprétation mentalement fragile et nerveusement à fleur d’émotions de Ksenia Rappoport - qui lui a valu de remporter le prix de la meilleure actrice à La Mostra de Venise 2009 - est une invitation à regarder au-delà des apparences. A ne pas se contenter de l’enveloppe trop opacifiante de la réalité.
La virtuosité de la mise en scène incrustée dans ambiance à la fois oppressante et mélancolique, le glissement du sujet vers des indices stratégiques autant que fantomatiques scotche et trouble l’attention du spectateur.
Pris dans les rets d’une bande son dont le minimalisme est un intelligent contrepoids à la construction d’un scénario de type « poupée gigogne », le spectateur, hanté presqu’à son insu par des souvenirs cinéphiliques de choix - Vertigo d’Hitchock, Blow out de De Palma - rumine, lorsqu’il sort de la salle de projection, un doute.
A-t-il été l’objet d’un jeu de miroirs parfois cruel ou le complice actif d’une mise en abyme qu’intuitivement il anticipait tout en sachant qu’elle le désarçonnerait ? (mca)
(*) le réalisateur a une formation philosophique.