Vincent Lindon, Karine De Mirbeck, Xavier Matthieu
Seul prix totalement incontesté au Palmarès francophile : la palme d’interprétation masculine décernée à Vincent Lindon dans La Loi du Marché . Si certains éléments du film réalisé par Stéphane Brizé ( lire notre interview sur le site ) pourraient donner lieu à une appréciation mitigée, la prestation de l’acteur français ne peut quant à elle qu’être applaudie tant ce dernier incarne son rôle avec une rare virtuosité. Vérité, naturel et générosité, tels sont les trois mots qui résument au mieux le jeu du comédien. On a d’ailleurs peine à parler d’une performance pour qualifier la manière dont Vincent Lindon investit son rôle tant il semble être le personnage qu’il défend.
Sur le papier, le scénario de La loi du Marché tient en quelques lignes : Thierry (Vincent Lindon), la cinquantaine, père d’un enfant handicapé et époux d’une femme qui gagne moyennement sa vie, se retrouve au chômage. Bien décidé à passer à autre chose après la fermeture de l’usine qui l’a licencié, Thierry met tout en œuvre pour réintégrer le marché du travail. Il retrouve finalement un emploi au sein d’une grande surface où il exerce, sans passion mais avec professionnalisme, la fonction d’agent de sécurité. Pour conserver son travail, est-il prêt à tout accepter ?
La loi du marché, c’est une loi qui, au fond, n’est inscrite nulle part mais inoculée dans toutes les interstices d’un système socio-économique qui, semble-t-il, est en passe d’atteindre ses limites d’un point de vue humain et moral. Imprimée en grands caractères dans l’inconscient collectif, La Loi gouverne tous les esprits et conditionne tous les acteurs de la société (recruteurs, travailleurs, patrons, formateurs, fonctionnaires ou banquiers…). En collant au plus près au principe de réalité, Stéphane Brizé tente avec succès de dresser le diagnostic d’un malaise social et humain qui peut conduire au dilemme moral : cette loi du marché, somme toute très implicite, est-elle bonne ? Est-elle bonne pour moi en tant qu’individu ? Faut-il nécessairement l’accepter et comment s’en accommoder sans se désavouer en regard d’une éthique personnelle dont les valeurs de base seraient différentes ? La transgresser serait-il suicidaire ?
Pour établir son diagnostic, Stéphane Brizé a pris le parti de suivre pas à pas, avec un cadre extrêmement serré, le parcours d’un chômeur déterminé à retrouver du travail, et pour en débusquer les symptômes, il se focalise sur l’anecdotique. Des anecdotes plus vraies que nature, agrémentées d’un humour parfois grinçant, et qui, mises bout à bout, constituent la trame du film.
Faisant fi de toute rupture réellement tragique dans son scénario (co-écrit avec Olivier Gorce), le cinéaste a clairement opté pour la finesse dramatique en la diluant dans la quotidienneté d’événements « ordinaires » ou sous le couvert d’une violence masquée. Entouré d’une constellation d’acteurs non professionnels, le protagoniste de La Loi du Marché se prête ainsi sans rage au jeu de l’échiquier, voire de l’échéquier, socio-économique. Résolu mais conciliant, Thierry se montre prêt au compromis mais refuse de céder à la compromission. Face à un recruteur qui l’interviewe via Skype, il envisage de revoir ses prétentions salariales à la baisse, et c’est sans broncher, qu’il encaisse une salve de critiques au cours d’un débriefing suivant un jeu de rôle visant à améliorer ses chances à l’embauche. Par contre, ne pliant pas sur le terrain de la dignité, il refuse de céder sa caravane à perte ou encore moins de revendre, sous la pression de sa conseillère bancaire, son bien immobilier, fruit de toutes ses années de travail.
En optant pour l’âpreté du réalisme, Stéphane Brizé a pris un pari risqué : celui de ne pas nourrir son cinéma du rêve ou de l’imaginaire. Ce faisant, il gomme de son long-métrage toute touche de romanesque et lui imprime un chromatisme terne, deux éléments que l’on pourrait regretter. Néanmoins, sa démarche a l’avantage d’offrir au cinéma une authentique radioscopie humaine et sociale à travers un personnage dont le potentiel d’identification demeure (malheureusement) puissant.
( Christie Huysmans )