Khalil Gharbia, Julien De Saint Jean, Eye Haïdara
Lorsque, enfant, Joe marchait sur un lac gelé et voyait les poissons figés sous la glace, il pensait qu’ils hibernaient et allaient se réveiller au printemps. Bien plus tard, il comprit qu’il n’y aura pas de résurrection. C’est sur cette belle métaphore que s’ouvre le premier long métrage de Zeno Graton.
Dans une IPPJ, Joe, bientôt majeur, attend sa libération, mais l’arrivée d’un nouveau délinquant chamboule sa vie. Entre William et Joe, naît une attirance, éclate un amour passionnel qui se fiche de tous les tabous. William dessine et tatoue. Sur les murs, sur le papier, sur la peau. Joe slame, et cela nous vaut un poème déchirant. Une musique nord africaine accompagne ses jours, comme un rappel de la part tunisienne du réalisateur. Zeno Graton nous plonge dans cet univers bouillonnant d’adolescents largués, déjà stigmatisés, et ce n’est pas une foule anonyme. Gros-plans sur chacun, en quelques mots et regards, des histoires se révèlent, désespoirs et révoltes. Le chemin est pavé d’obstacles, comment se construire à petits pas vers l’autonomie ?
Poétique et émouvant, tel est le registre de Zeno Graton. Tout en fluidité, jamais démonstratif, sans passages à vide, il ne meuble jamais. Dialogues minimalistes, phrases brèves, intenses, qui disent l’essentiel. Parfois la couleur disparaît. Noir et blanc, ou plutôt gris, paysage mélancolique. Par petites touches, l’on perçoit des références à Jean Genet, comme dans les séquences où Joe et William communiquent à travers la cloison qui sépare leurs chambres, citation d’une scène d’un court métrage de Genet, où la cloison était le mur des cellules. Et puis la case prison en vrai, et paradoxalement, une fin ouverte, ambiguë…
Khalil Gharbia et Julien De Saint Jean habitent leurs personnages d’une manière si vibrante qu’ils nous transmettent toute une palette d’émotions. Et n’oublions pas Eye Haïdara, dans le rôle de l’éducatrice si pleine d’empathie.
Un début plus que prometteur, il n’est pas si courant de découvrir un style aussi personnel et totalement maîtrisé.
Tessa Parzenczewski