Laurent Lafitte, Simon Abkarian, Manal Issa, Bernard Bloch
1982. La guerre civile fait rage au Liban, suivie par l’invasion israélienne. Aujourd’hui, le bombes tombent toujours sur Gaza et récemment encore sur le Liban. Adapté du roman de Sorj Chalandon au titre éponyme, rarement film aura été aussi en phase avec l’actualité. Le spectateur est littéralement plongé dans le fracas des bombes, au coeur même des ruines, comme un écho terrifiant des infos télévisuelles quotidiennes.
En 1982, Sorj Chalandon est journaliste, reporter sur le terrain pour »Libération ». En septembre de cette année- là, il pénètre dans les camps de Sabra et Chatila, où les phalangistes chrétiens appuyés par l’armée israélienne, viennent de massacrer des centaines de réfugiés palestiniens. Plus tard, devenu écrivain, c’est l’image d’une jeune Palestinienne, violée et torturée à mort qui lui inspirera le personnage d’Imane, dans ce roman qui raconte la violence absolue mais aussi un rêve utopique.
Georges, jeune metteur en scène parisien a noué depuis longtemps une grande amitié avec Samuel Akounis, Juif grec, en exil en France pour fuir les colonels et lui aussi metteur en scène. Dans une sorte d’exaltation , Samuel décide de monter l’« Antigone » d’Anouilh, dans un théâtre à Beyrouth, avec une distribution constituée de membres de différentes communautés libanaises : Sunnites, Chiites, Druzes, chrétiens, mais aussi Palestiniens... Comme un défi au cauchemar ambiant. Mais malade, Samuel persuade Georges de réaliser le projet à sa place .
Pour la version cinéma, David Oelhoffen a dû faire des choix. Délaissant la première partie du récit, les années de militance et la vie privée du protagoniste, il a suivi Georges pendant son séjour à Beyrouth, sa rencontre avec le chauffeur et interprète Marwan, Druze, le recrutement des comédiens, dont Imane, résidente à Chatila, qui jouera Antigone. Et pourquoi « Antigone » ? La pièce d’Anouilh a été créée à Paris en février 44, et Antigone personnifie la résistance face à l’Occupation, mais de manière plus générale face à tout pouvoir injuste, ici Créon.
En resserrant le propos, en braquant la camera sur l’essentiel, en n’éludant aucun questionnement, David Oelhoffen reste , il est vrai, au plus près du texte, parfois littéralement, mais en préservant l’intensité et l’émotion intactes. Quant aux questions, elles se bousculent. Lors des répétitions, chaque comédien se débat avec son identité, avec la signification profonde de la pièce, et peine parfois à franchir le pas, simplement pour l’imaginaire pur, pour le plaisir de jouer. Et puis, est-ce que l’art peut sauver le monde, apporter la paix ? Comme le dit Sorj Chalandon, « Une balle de 9 millimètres sera toujours plus rapide qu’un alexandrin, mais il faut rêver. »
Tourné à Beyrouth, ce qui nous vaut, en longues séquences, des gros plans de bâtiments en ruines, nous voyons Georges progressivement entraîné dans la guerre, comme happé, bien au-delà de toutes limites.
Remarquablement incarné par Laurent Lafitte, d’une intensité rare, et par Simon Abkarian, lui-même Arménien du Liban, dans le rôle de Marwan, toujours aussi charismatique, sans oublier Manal Issa, Imane, toute en sensibilité, un film bouleversant, qui évidemment ne nous laisse pas indemnes, en ces temps angoissants.
Tessa Parzenczewski