Cinéphile
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LES AMITIES MALEFIQUES

Emmanuel Bourdieu (France 2006 - distributeur : les Films de l'Elysée)

Malik Zidi, Dominique Blanc, Natacha Régnier, Jacques Bonaffé

100 min.
27 septembre 2006
LES AMITIES MALEFIQUES

Particulières avec Peyrefitte, absolues avec Montaigne, délétères avec de Laclos, les amitiés, à ce moment de proximité entre adolescence et entrée dans l’âge adulte, sont rarement insignifiantes.

Emmanuel Bourdieu a su, avec une singulière grâce verbale, percevoir et transcrire le captieux de ces relations. Ses personnages sont des thésards littéraires qui aiment jongler avec les idées et le langage. Eloi et Alexandre vivent machinés à l’arrogance d’André dont la faconde les fascine au point de mettre en sourdine leur envie d’écrire pour satisfaire à la péroraison de leur « mentor » selon laquelle la plupart de ceux qui écrivent le font " parce qu’ils n’ont pas assez de courage pour ne rien faire" (Karl Krauss).

Trop immatures pour se rendre compte du poids auto destructeur des propos d’André, ils vont se laisser entraîner dans un rapport où le maître-bourreau se nourrit de l’admiration et des illusions de ses disciples-victimes.

« Les amitiés maléfiques » est une sorte d’épure des films que le cinéaste a scénarisés pour Desplechin. (« Esther Kahn », « Comment je me suis disputé…(ma vie sexuelle) »).
Si l’histoire au départ emprunte à la vie de Bourdieu - détenteur d’un DEA sur Wittgenstein il connaît bien le monde des grandes écoles - son développement s’insère dans un récit simple qui se déplie autour de thèmes intemporels.

L’amitié, pour lui comme elle l’était déjà pour Delacroix dans une lettre à Georges Sand, « n’est pas paisible, elle est une passion fougueuse comme l’amour » .
Est-ce parce qu’il n’a plus l’âge de ses personnages, que Bourdieu réussit à poser un regard à ce point juste et lucide sur l’une des difficultés qui jalonnent le chemin vers l’adultité : l’affranchissement de toute tutelle fût-elle intellectuelle.

Le film cerne, avec habileté, les égarements et la mise en charpie des idéaux des apprentis-adultes. Il est tout aussi efficace dans sa description quotidienne d’un milieu de sorbonnards souvent délaissé par le cinéma contemporain qui lui préfère un monde moins socialement privilégié et moins culturellement référencé.

« Les amitiés.. » n’a pas comme seul atout d’être bellement écrit, il est aussi emporté par un trio de jeunes acteurs parfaitement à l’aise dans leurs personnages et dont l’esprit d’équipe transcende les prestations personnelles.

Il a le mérite de rappeler que le cinéma est aussi une écriture et que tant qu’à faire autant qu’elle soit élaborée sans être affectée, dense sans être rébarbative et qu’elle laisse, dans l’esprit durassien d’« Ecrire » « une trace qui s’incruste dans la pensée » . (m.c.a)