Grégori Derangère, Aurélien Recoing, Niels Arestrup, Anouk Grinberg
« La chambre des officiers » de François Dupeyron avait convaincu par son approche profondément humaine des douleurs physiques et morales encourues par ceux qui sont revenus de la Première Guerre Mondiale « la gueule cassée ».
« Les fragments… » dressent un portrait de la même génération sacrifiée au nom d’un idéal patriotique qui ne résistera pas longtemps aux assauts livides d’un quotidien fait de peurs, de lâchetés et d’héroïsme rarement prémédité.
Ce film grave capte avec une altruiste dignité l’intime fracassé de ceux qui ont connu les tranchées. Son propos, qui peut être élargi à tous les conflits qui ravagent la planète, met moins l’accent sur le présent de la guerre que sur les souvenirs laissés par celle-ci dans les mémoires de ceux qui l’ont faite. Cette importance de la remémoration inconsciente fait d’Antonin le cousin de Singer (un fascinant Tim Robbins) dans « Jacob’s ladder » d’Adrian Lyne.
C’est dans l’après-coup que les dégâts psychologiques foudroient.
Freud l’avait bien compris, lui qui après avoir été convoqué en tant qu’expert devant une commission d’enquête chargée de définir la notion de simulation dans les névroses de guerre, à consacré à celles-ci une étude magistrale (*), démontrant les multiples conséquences psychiques [dépression, hypocondrie, angoisse, délire, atonie, paralysie, gestes répétitifs et incontrôlés, amnésie (**) …] des traumatismes subis sur et aux alentours des champs de bataille.
L’intérêt particulier de ces « Fragments… » n’est pas de filmer la guerre (comme le fait Bruno Dumont dans le récent « Flandres ») mais de s’attacher à la relation qui va s’installer entre un
médecin psychiatre et son patient. Le premier étant convaincu que, s’il fait remonter à la surface les souvenirs enfouis dans la mémoire du second, Antonin redonnera à son âme brisée l’unité qui la libérera de sa souffrance.
Témoignage éloquent, qui aurait pu gagné en sobriété s’il avait été amputé d’un certain nombre de flash-backs redondants et d’un romanesque un peu convenu - mais ce sont là des péchés véniels pour une première réalisation - , « Les fragments… » frappe par un ton juste et utilement démonstratif.
Les acteurs sont magnifiques. Aurélien Recoing, Gregory Derangère portent, chacun, leurs blessures invisibles avec une touchante authenticité. Niels Arestrup et Anouk Grinberg les encadrent avec une efficacité, tantôt rude tantôt tendre, qui rappellent que sur les pires horreurs
ne poussent pas que des ronces. (m.c.a)
(*) « Introduction à la psychanalyse des névroses de guerre » in Résultats, idées, problèmes, I
ed. PUF
(**) comme Gaston "Le voyageur sans bagage" d’Anouilh qui, sans identité, végéte de longues années dans un hôpital psychiatrique.