Nina Rodriguez, Julie-Marie Parmentier, Bernard Campan, Zabou Breitman, Grégoire Bonnet
Adapter la plume brute, à la fois douce et tranchante, de Delphine De Vigan* n’est certainement pas une tâche aisée. Il s’agit plutôt d’un défi, celui de poser un regard cinématographique sur une histoire faite de mots, de ressentis, d’après le point de vue d’une adolescente surdouée de treize ans.
Cette adolescente, c’est l’inoubliable Lou Bertignac (remarquablement touchante Nina Rodriguez, une révélation**). Déterminée et douée d’une sensibilité toute personnelle, exacerbée par son histoire familiale marquée par le traumatisme, Lou Bertignac tente de grandir, de se reconstruire. Et c’est en apportant son aide à une sans domicile fixe, No, qu’elle parvient à entrer à nouveau en connexion avec toute la vibrance de ses jeunes années.
Alors que l’intensité du monde de l’adolescence est loin d’être aisément retranscriptible sous forme d’images, Zabou Breitman saisit l’essence même de cette période de difficile construction, nécessairement faite d’oppositions et d’acceptations. Par le son, les sensations, la subjectivité, la réalisatrice fait preuve d’une maîtrise admirablement nuancée. Elle capte au creux de l’image et de la durée les craintes, les angoisses, les preuves d’amour de chacun de ses personnages. Le récit ne fait qu’en gagner en émotionnalité retenue.
Chaque acteur incarne admirablement les personnages de cette histoire, aussi touchants les uns que les autres : la maman en phase de guérison après une sévère dépression (Zabou Breitman), le père tentant par tous les moyens de retenir l’émiettement familial (Bernard Campan), le professeur attentif accompagnant ses élèves avec une grande et belle patience (Grégoire Bonnet) ou encore l’amie inespérée mais en grande détresse (Julie-Marie Parmentier).
Le film aborde la question des drames insurmontables dans la famille, de la place et de l’importance de ceux qui restent. C’est aussi l’histoire de liens d’amitié, inconditionnels, dévoués, gratuits, désintéressés ; autant de multiples histoires d’amour, sous toutes ses formes. C’est aussi l’apprentissage auquel chacun doit faire face et auquel se voit confrontée Lou dès ses plus jeunes années : l’amour ne suffit pas à sauver l’autre du naufrage quand la souffrance est profondément ancrée et les moyens de guérison, cloisonnés.
Aussi, comme le rappelle Zabou Breitman par son interprétation toute singulière du récit de Delphine de Vigan, c’est aussi la formidable histoire d’une possibilité de retrouvailles entre une mère et une fille. Le film est tel un cadeau : celui du retour aux liens essentiels, ceux qui nous construisent, ceux qui nous permettent de grandir, ceux qui nous permettent d’accepter les limites de l’autre et les nôtres. Un beau rappel d’humanité à l’état pur dont il serait dommage de se priver cette automne, tant il porte une main tendue vers l’enfant intérieur blessé de chacun et chacune. (Ariane Jauniaux)
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« No et moi », Delphine De Vigan, Editions Lattès, 2007 – Disponible en livre de poche – Prix des Libraires 2008
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Nina Rodriguez incarnait déjà avec brio le personnage de Déborah François (Fleur) à 10 ans dans le très touchant « Le premier jour du reste de ta vie » de Rémi Bezançon (2007) dans lequel Zabou Breitman tenait d’ailleurs le rôle de la mère de cette famille extraordinairement humaine.