Reconstitution d’un fait divers
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BANG GANG

Eva Husson

Finnegan Oldfield, Marilyn Lima, Daisy Broom, Lorenzo Lefèbvre

98 min.
27 janvier 2016
BANG GANG

Avec son titre accrocheur voire racoleur, sa bande annonce sulfureuse et son sous-titre un tantinet prétentieux, Bang Gang , présenté en avant-première au Festival Ramdam, avait a priori de quoi inciter à la méfiance. (On se souvient du pétard mouillé que fut le film Love de Gaspar Noé…). Au final, le premier long-métrage d’Eva Husson, qui peut s’enorgueillir d’une mise en scène lumineuse et soignée, est loin de décevoir.

Inspiré d’un fait divers qui s’est déroulé aux États-Unis en 1999 mais qui, de l’avis de la réalisatrice aurait très bien pu se produire en France, en Belgique ou en Allemagne, Bang Gang s’immisce dans l’univers d’une bande de jeunes qui, minés par l’ennui, le désenchantement et l’absence d’idéal, vont explorer les limites de leur sexualité jusqu’à ce que la réalité les rattrape.

Tout commence par un jeu initié par George, une séduisante adolescente de 16 ans, qui, par dépit et provocation après une histoire d’amour avortée, invite sa bande de copains à tester leurs fantasmes et à transgresser les frontières de l’impudeur. Très vite, ce petit jeu, baptisé « Bang Gang », deviendra addictif, s’institutionnalisera et les vidéos de ces chaudes soirées feront le tour du lycée.

Si les premiers plans de Bang Gang s’infiltrent finement avec un œil voyeuriste au cœur d’une orgie libidinale à son apogée, la caméra d’Eva Husson prend rapidement la tangente vers un érotisme soigneusement chorégraphié et savamment dosé, qui ne laisse aucune place à la pornographie ou à la provocation gratuite. Certes, ce teen movie met en scène avec justesse et acuité cette génération selfie et You Tube qui est arrivée très jeune à maturité sexuelle et utilise comme référent la pornographie accessible sur Internet, mais le propos du film met également en exergue les paradoxes d’une jeunesse qui s’estimant très tôt libre et adulte, n’en demeure pas moins innocente, insouciante voire inconsciente. Car Bang Gang , c’est aussi la candeur de ces ados qui, en dépit de l’exaltation collective que suscitent les défis sexuels qu’ils se lancent, recherchent l’amour dans sa forme la plus authentique et la plus pure ; et c’est là où le sous-titre du film n’est guère usurpé.

Bang Gang, c’est aussi l’histoire éphémère d’une jeunesse livrée à elle-même, qui vit dans le déni des risques d’une sexualité débridée et non protégée. À cet égard, une certaine frange de la critique française a reproché à la cinéaste de ne pas être allée suffisamment loin dans l’exploration de son sujet et de clore son film de manière trop moralisatrice. Sans doute cette presse s’attendait-elle à davantage de luxure et s’est-elle sentie frustrée dans ses fantasmes ?
Mais peut-on reprocher à une réalisatrice de s’être minutieusement tenue en équilibre sur le fil de l’érotisme tout en prenant en compte la médiocrité d’une certaine réalité et en induisant subtilement que liberté rime nécessairement avec responsabilité ? « C’est quoi ces rapports de merde que vous avez entre vous ? , dit le père d’un des protagonistes. Y a des gamins qui font la révolution et vous vous battez pour avoir le droit de baiser le plus possible.
Ce qui est grave, ce n’est pas les partouzes. Vous êtes tous interchangeables et c’est ça qui est médiocre.
 » » Au final, les conclusions que tirent tous ces jeunes de leurs expériences et à l’égard desquels la cinéaste s’abstient de tout jugement, incitent d’ailleurs plus au questionnement qu’à la moralisation.

On notera enfin les fréquentes mises en abyme que la cinéaste n’a pas manqué d’introduire dans son film et qui démontrent ô combien l’omniprésence de l’image et les regards multiples que la norme technologique impose aujourd’hui influent sur les comportements et l’image du soi de la jeunesse actuelle. Le smartphone étant devenu le nouveau support de leur sexualité, le fait de se regarder en train de faire l’amour et de se savoir observé par d’autres, en devient plus « trippant » que l’acte sexuel lui-même. Cette immense galerie des glaces au sein de laquelle les regards se multiplient incite à une constante mise en scène et à une représentation infinie de soi, qui dépassent le simple narcissisme mais conduisent à une étrange friabilité voire à une inquiétante virtualité de l’être où, paradoxalement, le fait d’être hyper connecté nous déconnecte totalement du principe de réalité.

« La clarté ne naît pas de ce qu’on imagine le clair, mais de ce qu’on prend conscience de l’obscur », nous rappelle d’entrée de jeu Eva Husson en citant Jung ; et c’est peut-être là où se situe tout l’objet de son film . Les parents d’aujourd’hui connaissent-ils suffisamment la part d’ombre de leurs enfants ? Est-il indispensable de transgresser nos limites pour apprendre à les connaître ? Bang Gang a le mérite de susciter le débat.

(Christie Huysmans)