Chef d’oeuvre
4étoile(s) 4étoile(s) 4étoile(s) 4étoile(s) 4étoile(s)

BELLE TOUJOURS

Manoel de Oliveira (France/Portugal - distributeur : Cinémathèque Royale/Flagey)

Bulle Ogier, Michel Piccoli

70 min.
26 septembre 2007
BELLE TOUJOURS

« Belle toujours » c’est évident.

« Gaillard toujours », c’est indéniable pour tous celles et ceux qui étaient à Flagey ce samedi 22 septembre pour applaudir le cinéaste venu présenter, en lisière de son centenaire, la suite qu’il a imaginée au film surréaliste que son collègue Bunuel a réalisé en 1967 à partir d’un livre de Joseph Kessel - magnifique déclinaison du "Che vuoi" lacanien lorsqu’il questionne le désir féminin - adapté par le scénariste Jean-Claude Carrère.

Séverine Serizy et Henri Husson se sont connus il y a presque quarante ans. Elle était une bourgeoise en proie ou en quête - à chacun sa vérité - de fantasmes sadomasochistes. Il était le meilleur ami de son mari et connaissait ses rendez-vous secrets dans un lieu d’illusions - un nom bien plus évocateur de l’insondable mystère de la chair que celui de maison de passe.

Au regard onirique et libertin de Bunuel répond avec d’intelligence et sens du rébus celui d’un Oliveira altièrement inspiré.

Catherine Deneuve n’a pas réendossé les tailleurs distingués et froids de son personnage, ces leurres d’un dévergondage d’autant plus libertin qu’il est secret. Personne ne s’en plaindra car Bulle Ogier est une Séverine parfaite en sexy/distante sexagénaire, aussi plastifiée dans ses ambigüités qu’intense dans sa détermination à connaître ce que Husson a murmuré à l’oreille de son époux paralysé avant qu’il se suicide.

Michel Piccoli est impérial. Drôle, volontairement cruel, oisif et alcoolique, il harcèle Séverine jusqu’à ce qu’elle accepte de souper avec lui dans un lieu étrange, sorte de chambre vermillon qui se veut écho à leur trouble passé et en même temps baroque réminiscence, par ses parois boisées de la closerie d’un confessionnal qui ne recevra aucune confession.

Film de pure audace de fond et de forme « Belle toujours » est un écrin dont la perle, un repas chichement éclairé de chandelles en bout de vie et animé par le funèbre cérémonial de serveurs compassés, est un bijou d’incongruité qui se termine par un plan grotesquement suréclairé sur un Piccoli hilare. D’un rire trop irrévérencieux, pour celer complètement l’insolente solitude et le goût de la transgression de celui qui l’éructe.

Un Paris superbement filmé, trois personnages secondaires amoureusement campés, des jeux de miroirs (dans le bar, dans le reflet de la vitrine d’un magasin) qui en disent long sur le rapport qu’entretiennent les êtres humains avec leur intimité, tout concourt à faire de « Belle toujours » une œuvre qui n’a rien à envier à son père bunuel-lien

L’apparition saugrenue d’un coq au moment précis où Séverine quitte la scène du drame - car c’est bien à un drame que nous assistons, celui d’un deuil (*) rendu impossible par la volonté perverse et taiseuse d’un homme - est à la fois le symbole d’une virilité méchante lorsqu’elle est dressée sur ses ergots et le train d’union entre deux cinéastes. L’un espagnol et amateur d’image décalée (**), l’autre portugais (***) et proche de cette saudade, ce mal de vivre posé sur un passé dont on se sent dépossédé. (m.c.a)

(*) celui de la mort par défenestration de l’époux de Séverine à la fin de « Belle de jour ».
(**) comme dans « Le fantôme de la liberté » où un gallinacé chaperonne Monica Vitti et Jean-Claude Brialy.
(***) ce qui a pu lui donner l’envie d’une variation autour du coq, l’emblème de son pays.