Conte philosophique
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DU LEVANDE ou NOUS, LES VIVANTS

Roy Andersson (Suède 2007 - distributeur : Benelux Film Distributors)

Jessica Lundberg, Elisabeth Helander, Björn Englund

95 min.
21 novembre 2007
DU LEVANDE ou NOUS, LES VIVANTS

Un inventaire. Voilà à quoi nous convie Roy Andersson. Un inventaire à la Prévert qui met en scène non pas des objets hétéroclites mais des séquences absurdes qui présentent sous forme de tableaux vivants des humains scotchés à leur condition d’aliénés .

C’est par des plans fixes et laconiques, comme August Sanders l’a fait avec ses photogrammes méthodologiquement cadrés, que le cinéaste choisit de nous présenter sa palette d’hommes et de femmes verrouillés dans leur inaptitude au bonheur et à l’écoute de l’autre.

Andersson a une façon de poser sa caméra avec une frontalité qui écorche le spectateur et l’amène à se demander si lui aussi n’est pas, comme ces morts-vivants qui se pétrifient d’égoïsme et de solitude sur la toile, une marionnette gesticulante et coupée de ses émotions.

Alors que son point de vue ne se veut ni moral, ni psychologique (même si un des personnages des saynètes est un psychiatre), il se dégage de « Du levande » une atmosphère poétique et grotesque qui, sans doute parce que le metteur en scène se tient en retrait de ce qu’il montre, souligne au fluide glacial (comme dans le magazine de BD à l’humour décalé fondé par Gotlib) nos manques et nos impuissances.

Vision du monde sans concession, regard sans illusion sur une société qui a remplacé la tendresse par l’indifférence, ce quatrième film (*) en trente sept ans d’un réalisateur surtout connu pour ses publicités et courts métrages, fait grincer des dents (peut-on appeler cela rire ?) et effraye autant qu’il hypnotise.

Certains de ses plans sont d’une cruauté dont le non dit ajoute à la dérisoire virulence - le vieillard en déambulateur qui traîne un chien en détresse - et projette de l’humain une image qui déliée de toute foi et de toute loi finira par s’attirer les fureurs, annoncées dans un superbe plan final, d’un ciel qui ne restera pas éternellement clément à la mécanisation qui s’empare de nos comportements et de nos âmes.

Tati pour sa mise à distance pince sans rire, Bunuel pour sa farce surréaliste sur les bourgeois (« Le charme discret de la bourgeoisie »), Elio Petri pour sa dérision à croquer la classe ouvrière qui « …n’ ira pas au Paradis », Lars Van Trier pour sa saugrenu-ité, Kusturica pour son affection du trombone sont convoqués, en anges sarcastiques, de cette œuvre qui plaira à tous ceux qui aiment que soit non consensuel le portrait que le cinéma renvoie aux spectateurs de ses frères humains qui animent l’écran. (m.c.a)

(*) « Une histoire d’amour suédoise » (1970), « Giliap » (1975), « Chansons du deuxième étage » (2000 et Prix du Jury au festival de Cannes de la même année). A notre connaissance aucun de ces films n’a été distribué en salles de cinéma en Belgique. Certains d’entre-eux sont disponibles en DVD.