Bio-fiction
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FLORENCE FOSTER JENKINS

Stephen Frears

Meryl Streep, Hugh Grant, Simon Helberg, Rebecca Fergusson, Nina Arianda

110 min.
3 août 2016
FLORENCE FOSTER JENKINS

Après le ‘Marguerite’ de Xavier Giannoli, c’est au tour de Stephen Frears de s’emparer de la vie de Florence Foster Jenkins, personnage qui aurait partiellement inspiré la Castafiore à Hergé ainsi que celui de Susan Alexander à Orson Welles dans ‘Citizen Kane’.

Plus drôle, plus rythmé, moins saturé de chants lyriques et surtout moins longuet que le film français qui remporta trois Césars en 2016 (dont celui de la meilleure actrice pour Catherine Frot), la version du cinéaste britannique sonne non seulement plus juste quant à la réalité biographique de son personnage clé (nonobstant quelques petites libertés d’adaptation) mais dose avec davantage d’extravagance, de flamboyance et d’audace ses effets comiques tout en maîtrisant avec maestria ses variations sentimentales et dramatiques. L’humour est souvent très burlesque mais Frears, tel un funambule, se montre suffisamment habile pour ne pas tomber dans le grotesque. Côté musical, le réalisateur a également eu la bonne idée de ne pas se limiter à de l’opéra « faussement » chanté, qui, à la longue, aurait cassé les oreilles de la majorité des spectateurs. Le film est en effet ponctué d’une musique jazzy endiablée, qui, d’une part, concoure à la très juste reconstitution de l’époque et, d’autre part, offre un intermède musical bienvenu.

Aussi éblouissante que Catherine Frot dans ‘Marguerite’, Meryl Streep démontre une nouvelle fois qu’elle est capable de tout jouer et qu’elle n’a peur de rien, en ce compris de se montrer sous son jour le plus ridicule. Ses accoutrements sont d’un baroque insolite et son chant peut sans nul doute être qualifié d’atroce (l’air de Reine de la Nuit de Mozart est un massacre, qui équivaut la version originale que l’on peut écouter ici).

En incarnant avec une excentrique majesté et une folle émotion une femme phénoménale dont la popularité demeure rétrospectivement toujours étonnante, l’actrice américaine suscite autant l’hilarité que l’empathie. Riche héritière capricieuse mais généreuse, exaspérante mais attachante, obstinée mais sensible, gaie comme un pinson en public mais souffrant dans l’intimité, Florence Foster Jenkins cumule les contrastes mais demeure un être authentique et restera fidèle à son plus grand rêve : celui de devenir cantatrice d’opéra. Son succès tient assurément plus à l’amusement qu’elle provoque qu’à son talent ; il repose également pour une grande part sur l’illusion, l’imposture et l’aveuglement mais qu’importe, cette mondaine extravagante parviendra à déplacer les foules et connaîtra même son heure de gloire au Carnegie Hall de New York en 1944.

Cependant, si la piètre cantatrice tient incontestablement le haut de l’affiche, elle forme aussi un exceptionnel duo avec St Clair Bayfield, son mari et imprésario (Hugh Grant). Aristocrate anglais désargenté, acteur shakespearien au ton parfois cynique et qui, contrairement à sa bien-aimée, s’avère pleinement conscient de son talent très relatif en tant que comédien, Bayfield couvre sa belle de mille et une attentions et s’évertue à mettre tout en œuvre pour que les critiques dénonçant la médiocrité de ses performances ne puissent l’atteindre. Couple original, uni par les liens d’un amour singulier où une infinie tendresse domine, il apporte au film une tonalité sentimentale profondément touchante, qui renforce la consistance humaine du personnage titre.

Par ailleurs, on ne peut qu’applaudir l’irrésistible prestation comique de Simon Helberg, dans le rôle de Cosmé McMoon, lequel accompagne au piano, fidèlement mais non sans effarement, les frasques lyriques de la diva. Par sa drôlerie, ce dernier vole quasi la vedette à Hugh Grant !

En conclusion, si le théâtre de la vie est un songe, Florence Foster Jenkins ne s’est pas contentée de rêver sa vie, elle a vécu son rêve, car comme elle le souligne elle-même : « Les gens pourront toujours dire que je ne sais pas chanter, mais personne ne pourra jamais dire que je n’ai pas chanté. »

(Christie Huysmans)