Drame familial
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GEGENÜBER

Jan Bonny (Allemagne 2007 - distributeur : Brunbro)

Victoria Trauttmandsdorff, Matthias Brandt

28 mai 2008
GEGENÜBER

Gegenüber ou selon le titre français "L’un contre l’autre". Pour s’aimer en se cognant. Ou se cognant pour s’aimer.

C’est le paradoxe dérangeant de ce premier film d’un jeune réalisateur allemand de moins de trente ans qui aborde ce qui serait un (douloureux) fait divers si l’agresseur était un homme et qui devient (presque) une levée de tabou parce que la « battante » est une femme.

Elle est institutrice, il est policier. Couple en apparence banale, Ann et Georg forment un drôle de tandem. Lié par les coups qu’elle lui assène. Et qui pleuvent dru lorsque l’humeur de la frustration pointe au plus petit prétexte.

Désarçonné, lors des premières violences, le spectateur se demande, avec un sentiment croissant de trouble et d’angoisse, ce que représentent ces manifeststions d’agressivité ?

De quels mots attendus mais non dits prennent-elles la place ? De quels maux sont-elles les témoins ?

Pour qu’un tel couple reste ensemble, il doit fonctionner. Selon ses règles propres où l’amour n’est pas forcément en exil. Mais où il s’apparente à cet étrange attachement (déjà esquissé chez Almodovar dans « Atame ») dans lequel chacun trouve son compte en dehors des habituels rôles conjugaux.

Sans victime pas de bourreau. Sans violence apéritive pas de jouissance en perspective.

« Gegenüber » est – et ce n’est pas un reproche - un film énigmatique parce qu’il n’offre pas d’explication à la situation montrée. Chacun vis-à-vis (*) de celle-ci est libre d’y voir ce qu’il veut.

Un jeu SM pour attirer l’attention de l’autre ? Pour répéter compulsivement un souvenir d’enfant dominé ?

Un mode d’expression pour provoquer l’autre ? Le faire sortir d’une acceptation ressentie comme une léthargie, une veulerie ?

Provoquer l’autre ou se provoquer soi-même pour ensuite avoir de quoi se mépriser ? Avoir de quoi souffrir. Et recommencer à frapper pour échapper à cet autisme émotionnel, à cette routine quotidienne qui plombent la relation.

Frapper pour se sentir vivant, pour essayer de donner un sens, un poids à la vacuité d’une vie à deux, terne et sans relief.

Ces imbroglios de sentiments, d’émotions, de souffrances sont portés par des acteurs qui parce qu’ils vont jusqu’au bout de leurs composition, avec une conviction non exempte d’amertume, se transforment en emblématiques interprètes d’un malaise ressenti par bien des couples.

Qui étouffent sous les gris d’une vie absurde et, une fois les enfants partis, devenue sans référence. 

Et lorsqu’enfin Georg réagit même les féministes se sentent soulagées. Parce qu’enfin, peut-on imaginer, un dialogue s’amorce.

Et l’on se prend à rêver que les bleus distribués deviennent, un jour, la couleur des mots amoureux chantés par Christophe.

C’est par un parti pris de chaque plan de filmer en contre-jour ou dans la pénombre que Jan Bonny choisit de nous faire entrer dans la vie de deux individus qui vivent côte à côte, chacun lové sur ses détresses particulières.

Sur ses incapacités à sortir d’un cadre (cerné par une mise en scène au scalpel et dessiné par une sèche caméra à l’épaule) qu’il a lui-même mis en place.

Sur les dénis (« ce n’est pas un drame » répète mezzo voce Georg) qui font regretter l’expressivité avec laquelle Michael Douglas et Kathleen Turner donnaient forme à leurs tensions.

Dans « The Roses’war » de Danny de Vito.

Saluons encore une fois l’implacabilité et la vigueur avec lesquelles le cinéma allemand (**) dépiaute les névroses qui à la fois soudent et abîment la vie de famille.

Faisant de celle-ci un Alcatraz dont on s’évade rarement. Et toujours en y laissant des plumes.

Une intéressante introduction au film et aux intentions de son réalisateur, est proposée dans le magazine « Première » de ce mois de mai 2008. (m.c.a)

(*) Une traduction plus littérale de "Gegenüber" : en face de, vis-à-vis
(**) « Requiem » de Hans-Christian Schmid, « Sensucht » de Valeska Griesebach.