Reconstitution d’un moment de l’histoire
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GOYA’S GHOSTS

Milos Forman (USA/GB 2007 - distributeur : Les Films de l'Elsyée)

Natalie Portman, Javier Bardem, Stellan Skarsgard, Michael Lonsdale

117 min.
30 mai 2007
GOYA'S GHOSTS

Il arrive au cinéma de nous ouvrir à la complexité de l’Histoire. Mission délicate car elle demande de garder, lorsqu’elle s’inscrit dans la geste d’une époque, un équilibre entre la volonté de témoigner (qui demande rigueur et cohérence) et le désir d’intéresser (qui peut s’égarer dans la mélodramatisation anecdotique).

Milos Forman nous a habitués à des réalisations solides, basées sur des scénarios bien construits (*), des adaptations de romans (« Valmont »), pièces de théâtres (« Amadeus ») et comédies musicales (« Hair ») qui rendaient compte d’une vision personnelle du monde.

Il est donc normal d’être désarçonné par ce singulier « Goya’s ghosts » tiraillé entre de trop nombreuses tentations pour donner une impression de maîtrise.

Plus qu’un portrait sur un peintre, « Goya’s ghosts » est un croisement de routes entre un artiste et les turbulences d’une période qui commence en 1792, en plein obscurantisme religieux, pour se terminer en 1814 par l’écrasement des troupes napoléoniennes et le rétablissement de la royauté avec un Ferdinand VII qui s’empressera de restaurer l’absolutisme de son pouvoir et de rendre à l’Eglise les pleins pouvoirs qu’elle avait perdus sous l’occupation française. Lampedusa l’avait déjà constaté dans le sublimissime « Guépard » : pour que rien ne change, tout doit changer.

Deux fils conducteurs à ces ressacs historiques : une jeune fille, Ines, qui après avoir été victime de l’Inquisition deviendra folle - métaphorisant ainsi l’outrance et les horreurs d’une Eglise omnipuissante et hypocrite - et un leitmotiv qui à la fois unit et transcende les couches en forme de mille-feuilles du film : qu’est-ce que la vérité ?

Peut-elle être arrachée sous la torture ? Peut-elle être représentée par l’art ? Peut-elle être détenue par le pouvoir politique ? Finalement - observation qui a donne au film son poids de contemporanéité - n’est-elle pas un leurre qui ne sert qu’à donner forme à des convictions ?

Le regard de Forman sur le peintre est étrangement neutre. Loin de l’idée que l’on a d’un artiste contraint de s’exiler à Bordeaux, chassé par une cour réactionnaire, il est proche de la description d’un homme, qui pour nourrir son art, se refuse à avoir des opinions. Plus courtisan irraisonnablement attaché à une monarchie dont il a été longtemps le peintre officiel qu’artiste engagé, il nous est présenté comme un témoin (**) singulièrement dépourvu de tout état d’âme. Impression accentuée par une interprétation languissante d’un Stellan Skarsgard face à un Javier Bardem qui incarne, avec une prodigieuse vigueur, la diabolique alliance du fanatisme et de l’opportunisme. (m.c.a)

(*) écrit en solitaire (« Les amours d’une blonde ») ou en collaboration notamment avec Jean-Claude Carrière avec lequel le premier duo remonte au « Taking off » de 1971 et s’est prolongé jusqu’à ce Goya.
(**) jusque dans les audaces expressionnistes de ses gravures « Caprices » ou « Les désastres de la guerre ».