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GRAN TORINO

Clint Eastwood (USA - Warner Bros)

Clint Eastwood, Bee Vang, Anhey Her, Cory Hardrict, Geraldine Hughes, Brian Haley, Dreama Walker, Brian Howe, Doua Moua, Sarah Neubauer, Nana Gbewonyo, Christopher Carley, John Anton, Austin Douglas Smith

116 min.
25 février 2009
GRAN TORINO

Le mystère a longuement plané autour de ce nouveau film de Clint Eastwood. Tout d’abord, la rapidité avec laquelle il succédait à son film précédent Changeling (L’Echange) a suscité la surprise et son nom peu évocateur a entraîné bon nombre de supputations quant au sujet qu’il traiterait. En effet, tout amateur de voiture qui se respecte sait que la Gran Torino est un véhicule mythique tout droit sorti des usines Ford. Et c’est justement dans la capitale de l’automobile, Détroit, que Clint Eastwood a décidé de transposer l’histoire écrite par Nick Schenk qui se déroule initialement à Minneapolis. Mais le film ne relate pas les chroniques de passionnés de voitures, même si une Gran Torino de 1972 y joue un rôle important. Elle est le chaînon qui relie les personnages principaux du récit.

Walt Kowalski (Clint Eastwood) est un vétéran de la Guerre de Corée. Acariâtre, râleur, raciste, il n’est pas sans rappeler certains rôles dans lesquels on a déjà pu le voir. Beaucoup y voient un Dirty Harry retraité. Mais avec Walt Kowalski, l’acteur apporte un élément nouveau : l’humour. Les dialogues de "Gran Torino" sont empreints d’un humour cynique des plus délicieux. Walt Kowalski ne se prive pas de dire ce qu’il pense, et sans détours. Il est l’archétype même du vieux con, mais auquel on ne peut que s’attacher. Son épouse venant de mourir, il se retrouve seul dans la maison familiale que convoitent ses enfants. Il passe ses journées, avec son chien, sous le porche de sa maison, à boire des bières. Le quartier n’est plus ce qu’il était. Ses voisins sont pour la plupart des asiatiques. Un jour, il surprend le fils de ses voisins, Tao (Bee Vang), tentant de voler sa Gran Torino, la plus grande fierté de Kowalski. Quelques jours plus tard, Walt est alerté par du bruit dans le voisinage. Il sort, fusil à la main, et aperçoit avec rage que les membres d’un gang Hmong sont sur sa pelouse, SA PELOUSE !!! Son sang ne fait qu’un tour et il met en joue la bande de colosses qui tentaient d’entrainer avec eux le jeune Tao qui se débattait pour ne pas les suivre. Malgré lui, Walt devient le héros du quartier. Les habitants le couvrent de présents qu’il refuse. Rapidement, son porche devient presque un autel auquel ses voisins viennent apporter régulièrement des offrandes. Petit à petit, Walt se lie d’amitié avec ses voisins, particulièrement grâce à Sue (Anhey Her), la soeur de Tao, une jeune fille qui a réussi à apprivoiser le vieux loup. Et c’est presque naturellement qu’il prendra Tao sous son aile.

Pour son premier scénario de long métrage porté au cinéma, Nick Schenk nous livre un synopsis qui, de prime abord, pourrait nous sembler déjà vu et revu. Mais c’est sans compter l’expérience personnelle de Schenk, dans le milieu ouvrier avec les Hmong, qui a fortement inspiré l’écriture du script et l’œil aguerri de Clint Eastwood derrière la caméra ainsi que ses talents de réalisateur. Le scénario aurait pu, sous la direction d’un autre metteur en scène, prendre une tournure frôlant le pathétique faisant honneur au drame larmoyant et aux gros effets. Mais, au lieu de cela, Clint Eastwood nous propose de la subtilité, de la nuance. Cette délicatesse se retrouve également dans la musique qui ponctue discrètement et intelligemment les moments-clés du film. Notons tout d’abord que "Gran Torino", le morceau phare du film, nominé aux Golden Globes pour la meilleure chanson, est le fruit d’une collaboration entre Clint et Kyle Eastwood, Jamie Cullum et Michael Stevens. Clint Eastwood a toujours accordé une grande importance à la musique de ses films. Il déclare d’ailleurs à ce propos : « Parfois, j’écris moi-même les musiques qui résonnent dans ma tête au fil du tournage, parfois je les confie à d’autres. Je ne m’impose aucune règle à ce sujet. Seule compte l’adéquation de la musique au film, et l’enrichissement qui en découle. » Et on peut dire que l’adéquation est au rendez-vous avec la bande originale du film qui inclut des raps Hmong et latinos, dont un titre du groupe "Rare" auquel appartient l’acteur Elvis Thao qui joue le rôle d’un des membres du gang.

En ce qui concerne le jeu des acteurs, on est aussi dans l’adéquation totale. Le casting est composé de non-professionnels, principalement issus de la communauté Hmong. Clint Eastwood a passé du temps avec eux et en a engagé un bon nombre dans l’équipe de tournage. Ils ont également contribué à l’élaboration des dialogues ce qui rend l’ensemble assez fluide et cohérent. Quant à Eastwood, son jeu a énormément évolué. C’est la première fois qu’on le voit si vulnérable dans un film. Plusieurs scènes le montrent en position de faiblesse. Etonamment, le plus grand moment d’abandon auquel on assiste n’est pas le plus manifeste. Mais c’est lors de cette scène où Walt Kowalski se retrouve dans la cave où sont réunis les jeunes Hmong lors du barbecue organisé par ses voisins que les sentiments sont mis à nu. Il ressort de cette scène une tendresse énorme de la part du vieillard envers les adolescents.

Dans plusieurs de ses films, surtout les policiers Tightrope, True Crime ou encore Absolute Power, Clint Eastwood décrit un père dans l’incapacité de s’occuper de ses enfants. Dans "Gran Torino" on assiste à une incompréhension totale entre Walt et ses enfants. Mais ce qui est formidable, c’est que Clint Eastwood ne nous montre pas un personnage qui reste dans l’échec relationnel ni qui essaie de le résoudre. Walt se réinvente une famille par le biais de Tao et Sue et l’histoire qui se tisse entre eux devient une apologie de l’adoption, principalement au moment où le vieil homme choisit de léguer un objet très symbolique pour lui au jeune Hmong plutôt qu’à l’un de ses fils biologiques. Relevons encore ici le principe de transmission qui est récurrent dans le travail d’Eastwood ce qui donne une dimension initiatique aux rencontres qu’il nous offre, et cela quel que soit le caractère de l’adulte qui entre en interaction avec un plus jeune, comme dans A Perfect World.

"Gran Torino" nous présente un changement dans la notion de vengeance chez Clint Eastwood. Cette évolution s’est enclenchée avec Unforgiven où, en 1992, le réalisateur nous faisait pour la dernière fois le récit d’un personnage qui revenait pour tuer. Près de 10 ans plus tard, dans Mystic River, le protagoniste ne se contente plus que de mimer l’action de tuer. Dans "Gran Torino", avec le geste répété de Walt en présence de ses ennemis, on est également face à ce mime. Mais cette fois, Eastwood va plus loin et nous conte l’histoire d’un être qui renonce à la vengeance.

On ne peut s’empêcher de voir "Gran Torino" comme une mise en scène de la carrière d’artiste du réalisateur-acteur. Walt Kowalski est une déclinaison de tous ceux qu’Eastwood interprète depuis ses débuts : Harry Callahan, Josey Wales, Ben Shockley, Frank Morris, Red Stowall, John Wilson ou Frank Corvin. Des personnages empreints d’une obsession, d’un souvenir récurrent qui les hante. Et la façon dont ils parviennent à gérer la mémoire fait partie intégrante du travail d’Eastwood.

Avec "Gran Torino", on sent clairement que Clint Eastwood fait partie de l’école classique des réalisateurs. Il se pose en digne héritier de John Ford. Sans dévoiler outrageusement l’intrigue, on remarque une boucle narrative constituée d’un enterrement au début et à la fin. Mais ces plans funèbres encadrent une large palette de sentiments, une histoire pleine de rebondissements et teintée d’humour. Côté technique, rien à redire : montage, cadrage, plans,... Certains diront que les éléments sont présentés sous forme de clichés mais ici tout est naturel, tout semble couler de source. Eastwood multiplie profondeurs de champ éloquentes et clairs-obscurs magnifiques. Ces ingrédients conjugués à ceux précédemment cités nous offrent une histoire où les sentiments sont nuancés, pesés et viennent nous toucher directement.

Seul petit bémol car, oui, il y en a un, le scénario de Nick Schenk est parfois surexplicite et d’une façon qui tendrait presque à en irriter quelques-uns. A certains moments, les choses nous sont annoncées au lieu de laisser au spectateur le loisir de connecter les éléments qui lui sont donnés. Ainsi, lorsque l’on se retrouve face à la scène où Walt se regarde dans le miroir et dit :"Tu sais, Walt, tu as plus en commun avec ces Hmong qu’avec tes propres enfants", on est plus que tentés de répondre : "Merci mais on avait compris !".

Malgré cela, "Gran Torino" est un film dont on ne ressort pas indemne. Comme certaines grandes œuvres classiques, il laisse un impact. Eastwood déclare :"En somme, je suis la Gran Torino. Elle comme moi sommes des dinosaures, issus d’une autre génération." Mais le dinosaure semble avoir bon nombre de surprises à nous offrir encore...

(Aurore Mudiayi Bukassa)