Drame social
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Coup de coeurIT’S A FREE WORLD

Ken Loach (Grande-Bretagne 2007 - distributeur : Cinéart)

Kierston Wareing, Juliet Ellis, Leslaw Zyrek, Joe Siffleet

96 min.
16 janvier 2008
IT'S A FREE WORLD

Il y a des tandems à bénir. Aki Kaurismaki et Matti Pellompää, Tsai Ming-liang et Lee Kang-she. Ken Loach et son scénariste Paul Laverty avec lequel Floreal Peleato s’est intelligemment entretenu dans le magazine Positif en son numéro de janvier 2008

Ces duos sont précieux parce qu’ils apportent quelque chose d’essentiel au cinéma et aux spectateurs. Un regard sur le monde, ses rouages, et la façon dont l’homme et la femme s’y adaptent. Avec ou sans humanité.

Dans « It’s a free world » ce sera sans si l’on donne à ce mot une connotation de bienveillance ou de générosité. Ce sera avec si l’on accepte qu’être humain c’est aussi être égoïste et prêt à tout pour survivre et s’en sortir dans une Angleterre (mais cela pourrait être partout ailleurs où sévit l’ultra libéralisme) inégalitaire et cynique.

Angie, jeune trentenaire ambitieuse et déçue dans ses espoirs d’ascension professionnelle, monte sa propre agence de recrutements d’intérimaires. Elle la gère avec un sens très élastique de la législation sociale.

Il est formidable Ken Loach parce qu’il réussit à capter l’attention et à serrer les cœurs avec une histoire sordide dans laquelle personne n’est sympathique.

Ni Angie à la fois victime et alliée d’un système social qui broie l’individu et le pousse à l’immoralité. Ni Rose son assistante dont le sursaut de conscience est éphémère.

Ni Jamie, son fils de 11 ans dans lequel pointe déjà l’adolescent buté et tourmenté. Ni sa mère accrochée à une idée dépassée de la famille. Seul le père, par son écoute de l’autre, échappe au pessimisme à travers lequel se déploient les relations humaines.

Même les travailleurs clandestins ne sont pas angélisés parce que leur souci d’être sélectionnés pour a « one day work » ne favorise pas la solidarité.

Personnage complexe, ambigu et contradictoire Angie - magnifique Kierston Wareing - est une sorte de ciroyenne mutante, laissant augurer ce que nous risquons de devenir si se pose à nous le choix qui s’offre à elle : exploiter ou être exploitée. Confronté à un semblable dilemme, le jeune Jérémie Renier dans "La promesse" des frères Dardenne n’y apporte pas la même réponse.

Chez Ken Loach, il n’est pas question de fuir le réel ou de s’en distraire. On l’affronte durement, on s’y cogne et on s’y blesse. En serrant les dents et presque sans plainte. Même quand on vit dans un gourbi, même quand on a froid et faim.

Cinéaste courageux et lucide - il sait que faire des films n’a jamais résolu un problème - il pose sur notre époque un regard laser et radical, bien éloigné du légendaire miracle économique qui n’existe que pour une partie infime de la population.

Comme s’il savait qu’avant de tenter de faire bouger les choses, il faut être capable d’y faire face. Yeux dans les yeux. Sans hypocrisie lénifiante ou exagération larmoyante.

En prenant la mesure de ce qu’elles sont : désespérées malgré les quelques notes légères distillées de ci de là pour éviter l’asphyxie sous tant de peine.

Curetage impitoyable des conditions de vie des immigrés, des défavorisés, des laissés pour compte, « It’a a free world » n’a rien d’une leçon de morale ou d’un film lourdement démonstratif.

Il est un constat sur une situation difficile qui ne permet pas de compromis. Sur un rendez-vous en train d’être manqué entre ceux qui n’ont rien et ceux qui refusent de partager.

Avec Ken Loach, on marche sur le fil du rasoir. Toujours en équilibre instable entre les nécessités d’un monde qui se fol- capitalise et les limites à respecter pour ne pas tomber dans une horreur de soi-même et des autres.

La cinémathèque de Bruxelles a la bonne idée de programmer, durant ce mois de janvier 2008 l’intégralité d’une oeuvre qui, depuis « Kes » en 1969, ne s’est jamais écartée d’une cohérence qui fait honneur au cinéma engagé.

Ce cinéma rare et donc précieux parce qu’il nous rend plus conscients des réalités du quotidien. (m.c.a )