Reconstitution d’un moment de l’histoire
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J’AI VU TUER BEN BARKA

Serge Le Péron (France 2005 - distributeur : Les Films de l'Elysée)

Charles Berling, Simon Abkarian, Josiane Balasko, Jean-Pierre Léaud

101 min.
11 janvier 2006
J'AI VU TUER BEN BARKA

L’histoire avec un grand H est paradoxale, aussi paradoxale que le titre de ce film.
En effet le narrateur du récit, Georges Figon (un très convaincant Charles Berling) n’a pas vu tuer Ben Barka – il n’a assisté qu’à son enlèvement.
Et il est piquant de souligner que 40 ans après cette affaire, toujours restée un mystère parce que le corps de Ben Barka n’a pas été retrouvé, le maire de Paris a, en 2005 [au moment de la sortie du film en France], inauguré une place au nom de celui qui était, au moment de son rapt le coordinateur des mouvements révolutionnaires du tiers-monde - ce qui gênait beaucoup de monde - et le leader de l’opposition au régime marocain en place – ce qui gênait la France.

Cette affaire s’inscrit dans la période trouble du détricotage de la décolonisation et rappelle que l’accession à l’Indépendance s’accompagne souvent de drames et de scandales.
Il suffit de se souvenir que le début de la république congolaise fut, lui aussi, entaché de la disparition brutale et violente d’un de ses leaders charismatiques : Lumumba.

Plus qu’une simple mise en scène d’un fait historique et moins qu’une approche politique de celui-ci, « J’ai vu tuer.. ; » tente de donner à comprendre une affaire délicate que le Général de Gaulle a politiquement bémolisée par ces mots : « il n’y a dans ce règlement de compte rien que de vulgaire et de subalterne ».

Le film, et en cela il n’est pas dépourvu de courage, jette un regard sans concession sur la naïveté des intellectuels (*), les liens troubles entre les services secrets (le SAC et la CIA) et le monde politique, les relations captieuses entre le journalisme et le milieu, sans parler de la nostalgie d’une France collaborationniste qui baigne le film d’une lumière sombre faite de vert et de brun mélangés.

L’affaire Ben Barka avait déjà été portée à l’écran en 1972 par Yves Boisset mais la réalisation de Le Péron (aidée par la composition magistrale de Simon Abkarian tellement plus convaincant dans le rôle de Ben Barka que Gian Maria Volonté) a un accent de vérité tragique que n’avait pas le film de 72, qui malgré sa scénarisation par Jorge Semprun, était plus un thriller dont aucun protagoniste n’était nommément cité qu’un récit articulé autour des nécessités méphitiques avec lesquelles la raison d’Etat doit parfois se compromettre. (m.c.a)

(*) pour mémoire Ben Barka a été tiré de son exil en Egypte parce que Figon, gouape de tempérament devenu producteur de cinéma, l’a convaincu de participer, à titre de consultant, à un film qui serait réalisé par Franju (qui ne s’est jamais remis d’avoir été associé à un piège) et dialogué par Marguerite Duras.