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L’ENLEVEMENT

Marco Bellocchio

Enea Sala, Leonardo Maltese, Paolo Pierobon, Barbara Ronchi, Filippo Timi, Fabrizio Gifuni.

135 min.
6 décembre 2023
L'ENLEVEMENT

Cinéaste engagé dans les années 60, on se souviendra de "Les poings dans les poches" et de "La Chine est proche", qui reflétaient si bien les utopies de la jeunesse de l’époque, Marco Bellocchio a poursuivi son exploration d’autres territoires, ceux de l’intime aussi, mais toujours ancré dans la réalité italienne. Aujourd’hui, il nous fait revivre un événement survenu au XIXe siècle et qui garde tout son effroi. Bologne, 1858. Des soldats pontificaux viennent enlever à sa famille un enfant juif, Edgardo Mortara, âgé de 6 ans, sous prétexte qu’encore bébé, il a été baptisé clandestinement par sa nourrice. Nous assisterons aux combats menés pendant des années par la famille Mortara pour récupérer son fils. L’affaire aura un retentissement mondial. La presse internationale, les communautés juives se mobiliseront, en vain. Pie IX et ses inquisiteurs, car l’Inquisition existe toujours, ne veulent pas lâcher leur proie, leur prise de guerre. Et la proie, Edgardo ? C’est là que réside toute la perversité de l’Eglise. Plongé dans un monde inconnu, apparemment choyé, progressivement apprivoisé, Edgardo renonce à ses prières juives quotidiennes, se débarrasse de la mezouzah et ne demande qu’à s’intégrer dans cette nouvelle communauté. Devenu prêtre, il refusera jusqu’au bout de retourner au sein de sa famille.
Entre Bologne et Rome, jusqu’au cœur du Vatican, les scènes se succèdent, glaçantes. Comme cette séance d’humiliation imposée au représentant de la communauté juive de Rome par un Pie IX, d’autant plus cruel que son pouvoir est près de s’effondrer.
Destruction d’identité, des racines, souffrances familiales indicibles… dans une mise en scène au cordeau, d’une intensité rare, quasi théâtrale, dans une lumière crépusculaire, où surgissent parfois les éclats des combats libérateurs pour une Italie unifiée, Bellocchio évoque, au-delà du cas Mortara, l’existence précaire des juifs italiens à l’époque, toujours sous la menace du retour au ghetto. Et bien sûr, cette tragédie nous émeut encore aujourd’hui, nous questionne, car, autres temps, autres lieux, autres victimes, les persécutions n’ont pas de frontières…
A remarquer la présence tout en intériorité du jeune Enea Sala dans le rôle d’Edgardo.
Tessa Parzenczewski