Chronique dramatique
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Coup de coeurLA MORT DE DANTE LAZARESCU

Cristi Puiu (Roumanie 2005 - distributeur : Beeck Turtle)

Ioan Fiscuteanu, Luminita Gheorghiu

143 min.
15 août 2006

En 1886 Léon Tolstoi publie sa magistrale nouvelle « La mort d’Ivan Illitch ».
Quelques 120 ans plus tard, le cinéma nous propose avec « La mort de Dante Lazarescu » une œuvre tout aussi forte et personnelle qui décrit, avec une absence totale d’enjolivures, les dernières heures d’un sexagénaire solitaire qui vit dans une banlieue post-Ceaucescu de Bucarest.

Pas d’intrigues dans ces deux œuvres, mais un même mouvement dramatique crée par une montée impitoyable vers un inéluctable dont on se doute depuis la première image mais que pourtant on espère ne pas voir arriver parce qu’on s’est pris d’une inexpliquée sympathie pour ses personnages principaux.

Aucune parole ou regard démonstratif ne vient alourdir l’intensité des quelques heures passées en compagnie d’un vieux bougon alcoolique, accompagné dans son chemin de Golgotha par un ambulancier et une infirmière (une magnifique Luminita Gheorgiu) en quête d’un hôpital qui acceptera de s’occuper du moribond.

Le film s’axe, avec un parti pris naturaliste, autour de rencontres avec des médecins, indifférents ou arrogants et d’une confrontation, qui en serait burlesque si elle n’était aussi tragique, entre la bureaucratie du monde hospitalier et le flétrissement d’un être auquel est demandé une décharge pré-opératoire alors qu’il est en train de mourir.

Une caméra lente, ascétique donne à cette marche vers la mort une force d’autant plus intense qu’elle est dépourvue de volonté émotionnelle.
Puiu n’est pas un sentimental, mais plutôt un observateur précis des comportements humains, de la trempe de ces moralistes du XVIIe siècle (La Rochefoucault, La Bruyère) qui porte sur l’homme et la société un regard empreint à la fois de sensibilité et d’ironie inquiètes

Cette confrontation au réel de la mort, par son authenticité brute et rugueuse, rend en comparaison bien artificielle celle de Rémy ( ) dans « Les invasions barbares » de Denys Arcand.

Comme son compatriote romancier, Panait Istrati, Puiu est capable d’une écriture cinématographique puissante, burinée, mise au service d’hommes à la lisière d’eux-mêmes et d’un monde en voie de délabrement. Etat frontière qui pose autrement la question de l’amour du prochain, cet amour auquel le cinéaste va consacrer 5 autres films, qui avec celui-ci, formeront un sextuor de « contes affectifs » qui feront un jour pendant aux « contes moraux » de Rohmer (m.c .a)