Adaptation d’une pièce de théâtre
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LA VÉNUS À LA FOURRURE

Roman Polanski

Emmanuelle Seigner, Mathieu Amalric

96 min.
13 novembre 2013
LA VÉNUS À LA FOURRURE

Seul dans un
théâtre après une journée passée à auditionner des comédiennes pour la pièce
qu’il a écrite et qu’il s’apprête à mettre en scène, Thomas (Mathieu Amalric) se
lamente au téléphone sur la piètre prestation des candidates. Pas une n’a l’envergure requise pour tenir le
rôle. Il se prépare à quitter les lieux lorsque
Vanda surgit. Débridée, délurée,
vulgaire et écervelée, elle incarne tout ce qu’il déteste. Acculé par son insistance pour passer
l’audition, Thomas la laisse tenter sa chance, et c’est avec stupéfaction qu’il
voit s’opérer la métamorphose de Vanda, qui non seulement connaît toutes les
répliques par cœur mais comprend également parfaitement le personnage. Alors que l’audition se prolonge, un
glissement s’opère entre la comédienne et son personnage (lesquelles portent le
même prénom) et la confusion s’installe petit à petit pour celui qui était censé
tirer les ficelles de la mise en scène.

Adapté d’une pièce
de David Ives [1],
elle-même inspirée d’un roman érotique du 19ème siècle écrit par
Leopold von Sacher-Masoch [2],
La Vénus à la Fourrure est un film théâtral, au pré-texte masochiste, doté
de dialogues soutenus dont l’humour est parfois grinçant. Ce huit clos, autant ludique que dramatique, magnifiquement
habité par Emmanuelle Seigner et Mathieu Amalric [3],
offre une mise en abîme extrêmement bien réussie, qui s’établit sur plusieurs
niveaux : de la pièce de théâtre de David Ives (qui est elle-même une mise
en abîme multiple, notamment en tant que « pièce dans la pièce » et
en tant qu’œuvre inspirée du livre de von Sacher-Masoch), on passe à son
adaptation cinématographique, au sein de laquelle se chevauchent et se confondent
différentes « réalités », en ce compris celles des auteurs et de
l’invisible réalisateur. On notera également
au passage la référence à la Vénus au miroir de Titien ainsi qu’au mythe
de Faust et à son intéressant travestissement : Vénus serait-elle cette
diablesse de l’amour que les hommes adorent alors qu’inévitablement, elle
risque de leur clouer le coeur au pilori ? 
Pourquoi les êtres humains damnent-ils leur âme en signant le pacte de
l’amour ? 

Au-delà de
l’évocation du masochisme [4],
La Vénus à la Fourrure
suscite bien des questions grâce à un texte bien
charpenté qui mérite une lecture… dans les abîmes.

Qu’en est-il des
rapports de force qui, sans cesse, unissent et désunissent les hommes et les femmes ? Quelles sont les nouvelles lignes de démarcation
que le féminisme a tenté d’imposer ? 
Pourquoi l’amour contient-il une part de souffrance et pourquoi
continuer à une endurer une relation avec un être qui vous fait
souffrir ? Qu’en est-il de la
jouissance de la souffrance ? Que
penser des metteurs en scène qui poussent dans leur retranchement les comédiens
qu’ils dirigent afin que leur jeu d’acteur ne soit pas une interprétation ni
même une incarnation mais bien l’avènement d’une réalité éprouvée ? Quels sont les liens qui unissent inextricablement
un auteur, son oeuvre et son vécu ? 
Faut-il le(s) lire entre les lignes et jusqu’à quel point ? Qu’en est-il de la réalité, de l’illusion et
de la vérité ?

Rien d’étonnant à
ce que Roman Polanski se soit emparé de ce texte et qu’il soit parvenu à le porter
à l’écran avec brio en dirigeant la comédienne dont il partage la vie.

( Christie Huysmans )

 


[1] David Ives est un dramaturge américain célèbre pour
ses comédies en un acte. Venus in Fur
fut joué pour la première fois à Broadway en 2011.

[2] Leopold von Sacher-Masoch (1836-1895) est un écrivain
et journaliste autrichien. Le terme
masochisme est dérivé de son nom. Venus
im Pelz est paru en 1870.

[3] Mathieu Almaric investit son personnage avec une
justesse et une sobriété exemplaire qui en viennent presque à faire oublier le
contexte théâtral du film. Le rôle de
Vanda va comme un gant à Emmanuelle Seigner mais cette dernière a parfois
tendance à forcer le trait de son personnage, ce qui le rend inutilement
excessif.

[4] En 1992, Roman Polanski avait déjà exploré la
perversion sous l’angle du sadisme dans Lunes de Fiel (Bitter Moon). La Vénus à la Fourrure a fait partie des films sélectionnés au
Festival de Cannes 2013.