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LE FILS DE SAUL (SAUL FIA)

László Nemes

Géza Röhrig, Levente Molnár, Urs Rechn

107 min.
28 octobre 2015
LE FILS DE SAUL (SAUL FIA)

Premier long-métrage du jeune réalisateur hongrois László Nemes, Le Fils de Saul  fut sans nul doute le plus impressionnant des films de la compétition cannoise 2015. Impressionnant non seulement par le cadre périlleux dans lequel il s’engouffre (Auschwitz) mais aussi par la qualité exceptionnelle et le parti pris immersif de sa mise en scène.

 

C’est caméra à l’épaule et sans complaisance esthétisante que le cinéaste a décidé de suivre Saul Ausländer (incarné par le poète hongrois Géza Röhrig), un membre du Sonderkommando, ce groupe de prisonniers juifs enrôlés de force pour aider les nazis dans leur plan d’extermination mais promis à la même exécution que leurs pairs. Tandis qu’il est chargé d’évacuer les corps qui viennent de sortir de la chambre à gaz pour les conduire au four crématoire, Saul découvre le cadavre d’un garçon dans les traits duquel il croit reconnaître son fils. Alors que certains membres du Sonderkommando préparent une révolte, Saul n’a qu’une seule idée en tête : sauver le corps de l’enfant des flammes et lui offrir une sépulture digne de ce nom. Conférant le signe d’une présence divine à la quête du héros qu’il incarne, l’acteur souligne : « Saul est, dans ce film, le dernier témoin de Dieu  » . « Sa mission est un acte de bonté. Et cette bonté, c’est à travers lui un acte de Dieu. » ( Lire à ce sujet le compte rendu notre rencontre avec Géza Röhrig )

 

En suivant pas à pas son protagoniste avec un réalisme brut et en laissant peu d’espace visuel à l’horreur qui l’encercle, le réalisateur saisit littéralement le spectateur au collet et l’immerge avec une poigne infernale dans un univers qui a piétiné l’âme de l’humanité et dont l’évocation nous amène toujours au bord de la nausée.

 

La puissance oppressante du Fils de Saul , couronné du Grand Prix du Jury   [1] , tient sans aucun doute à sa force suggestive car László Nemes se garde bien de tout voyeurisme morbide. Les arrière-plans sont floutés, le vaste horizon de l’immonde se déroule la plupart du temps hors champ (à l’exception d’une scène d’exécution particulièrement marquante) ; le nauséabond suinte dans l’allusion aux odeurs, et la violence psychique et physique se révèle à travers une maîtrise sonore qui n’est ni plus ni moins qu’extraordinaire. Chacun conservera notamment en mémoire cette scène terrible où la caméra s’attarde sur son protagoniste, figé au côté de la porte de la chambre à gaz de laquelle se font entendre de manière insoutenable les hurlements et les interminables soubresauts des juifs à l’agonie.

 

En prenant le parti de focaliser son cadre sur ce père en quête d’une sépulture pour celui qu’il appelle son fils, le cinéaste s’accroche au regard et aux mouvements d’un homme dont la survie n’est pas tant d’échapper à une mort programmée que de conserver intactes les quelques fragments d’humanité que la machine génocidaire nazie n’est pas parvenue à anéantir. Placé à la hauteur d’un homme continuellement en mouvement et dont les yeux ne peuvent décemment s’attarder sur l’innommable, le spectateur est littéralement aspiré par l’infatigable lutte morale et mentale d’un être encore humain dont le visage fermé et les assourdissants silences nous disent : « N’oubliez pas que cela fut, Non, ne l’oubliez pas : Gravez ces mots dans votre cœur... Répétez-les à vos enfants.   [2] »

 

Cependant, au-delà du réalisme dans lequel le film s’ancre avec une irréprochable justesse en se passant bien d’un happy end « sucré », Le Fils de Saul déborde largement le cadre d’une Histoire conjuguée au passé. « Ce film  ne se circonscrit pas à la communauté juive », insiste Géza Röhrig dans l’entretien qu’il nous a accordé. « La question n’est pas de savoir qui a tué qui… car rien n’est terminé. Nous sommes toujours aujourd’hui incapables d’éradiquer la barbarie . »

Film viscéral à l’atmosphère suffocante, le Film de Saul a assurément gravé dans notre mémoire des sons et des images que l’on ne peut oublier, et il est sans doute désormais au cinéma ce que Si c’est un homme de Primo Levi est à la littérature.

 

( Christie Huysmans )

 

 


[1] Le Fils de Saul a également remporté le Prix Fipresci dans le cadre du Festival de Cannes.

[2] Extraits de Si c’est un homme de Primo Levi.