Documentaire
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LE PAPIER NE PEUT PAS ENVELOPPER LA BRAISE

Rithy Panh (France/Cambodge 2006 - distributeur : Ecran Total)

Kim Thida, Kim Phiron, Kim Sareh

90 min.
8 août 2007
LE PAPIER NE PEUT PAS ENVELOPPER LA BRAISE

Notre époque est étrange par bien des aspects. Le constater est un truisme. Mais oublier de l’exprimer relève d’une irresponsabilité qui incite tant de producteurs, scénaristes, cinéastes et spectateurs à céder aux sirènes de la fiction d’un genre auquel le cinéma rend un trop envahissant hommage ces derniers temps : le film d’horreur.

Phénomène à ce point prisé, si l’on en juge d’après les sorties de ces derniers mois, que l’on peut se demander s’il ne participe pas d’un processus (conscient ou inconscient) de jeu avec l’imaginaire dans le but d’éviter le face à face avec un réel dont l’infâmie est bien plus dramatique.

Autrement dit, court-on voir les bis repetita de « The hills have eyes », « Hostel » et « Saw », …. parce que ces représentations, dans leur postulat de chiqué, permettent de mettre à distance le vrai sordide ?

Comme celui que vivent les jeunes femmes de « Le papier… » dans le Building Blanc, un des nombreux bordels enfer-iques de Pnom Penh. Là où vivent dans un bain de quotidiennes misère et violence, des jeunes filles prisonnières de proxénètes, de dealers et des fantasmes de leurs clients.

Leur jeunesse et leur beauté vendues, exploitées, à un rythme infernal qui, quand il leur en laisse le temps, les laisse exsangues d’émotions autres que le dégoût de soi, la honte et l’angoisse.

La force de Rithy Panh, auquel on doit déjà l’important « S 21, la machine de mort khmère rouge » est d’avoir saisi la détresse et les peurs de ses personnages au plus près de leurs confidences et de leurs histoires personnelles.

Parce qu’il ne sacrifie pas aux obligés d’un documentaire à visée pédagogique ou compassionnelle, « Le papier… » saisit au cœur. Inscrit dans le parti pris de ne pas décrire la prostitution comme un problème général mais comme un ensemble de récits individuels dont la plupart des composantes se recoupent : familles nécessiteuses, exode rural, conseil d’une amie….

Chronique lucide mais néanmoins film de cinéma (avec son sens du montage et sa sélection de moments qui ne sont pas pris au hasard des 300 heures de prises de vue et d’écoute), « Le papier… » affecte celui qui le regarde les yeux ouverts et conscient que le mal existe vraiment. Et pour longtemps encore tant qu’il aura son tissu relationnel - les clients, la police, la pauvreté - qui lui permet d’exister et d’être très rentable.

La tradition de la libre pensée française, celle de Camus et de Sartre (*), n’est pas étrangère à la façon dont Rithy Pan réfléchit (sur) le monde. Mais elle se double d’une sensibilité à la notion d’impuissance - que reflète le choix d’un dicton cambodgien comme titre de film - dont un écho se retrouve dans les intentions (**) du Bresson de « Mouchette » : exprimer la misère et la cruauté d’un monde qui laisse certains abandonnés des hommes… (m.c.a)

(*) Supplément « Voyage en francophonies » des Cahiers du cinéma n° 611
(**) soulignées par Jean-Jacques Bernard dans sa présentation de « Mouchette » passée en boucle sur la chaîne câblée « Ciné Cinéma Classic » durant cet été.