Chronique dramatique
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Coup de coeurLE PRESSENTIMENT

Jean-Pierre Darroussin (France 2006 - distributeur : Victory Films)

Jean-Pierre Darroussin, Valérie Stroh, Hyppolite Girardot

100 min.
11 octobre 2006
LE PRESSENTIMENT

Questionné sur ce qu’il fait de son temps, Charles Bénesteau, un grand bourgeois qui, lassé des lâchetés et égoïsmes de son milieu, décide d’expérimenter une autre façon de vivre dans un quartier populaire de Paris, a cette réponse laconique et ô combien mystérieuse « Rien de particulier ».

C’est autour de ces 3 mots, que Darroussin va tisser une œuvre délicate et fine, sur un homme à la recherche d’une approche moins maîtrisée de sa destinée.

Ce désir d’anonymat, tremplin espéré d’une relation plus authentique avec soi et les autres, est abordé par le réalisateur avec une bonté et une générosité sous-signifiantes dans l’œuvre d’Emmanuel Bove - dont est tirée le scénario du film – plus axée sur des impressions mélancoliques et dérisoirement ironiques.

Et pourtant à aucun moment on ne peut parler de trahison du roman. Parce que Darroussin a intuitivement compris que le « vrai du cinématographe sera le vrai du roman » (*) s’il saisit
l’indicible et le sous jacent d’une narration.

Il a compris que le flottement, l’impression d’être à la fois dans et à-côté de ses pompes étaient l’ombilic du « Pressentiment » et il en a rendu les impressions subséquentes de solitude et de passif intérêt pour le monde environnant par des couleurs à dominantes vertes, ocres et brunes comme dans ces toiles de Hopper d’où s’échappent, pour se ficher droit dans le cœur de celui qui les regardent, des paradoxes de douceur, de distance et de séduction.

Darroussin incarne avec une étonnante présence la non présence, l’effacement de celui qui se détache du monde parce qu’il se rend compte que, bourgeois ou pas, l’être humain ne peut être que ce qu’il est : « incapable d’un mouvement de générosité ».

Plus Darroussin-Bénesteau s’enfonce dans ce dématérialisation de lui-même, alla nt même jusqu’à rêver sa propre mort, plus la mise en scène devient méticuleuse et s’attache à cerner au plus près les visages, les objets du quotidien le plus trivial, les terrasses de cafés qui ont rarement été filmées avec un tel souci de palpable crédibilité.

Ce n’est pas la première fois que le cinéma s’intéresse à l’itinéraire d’un homme en rupture avec son milieu (« La fuite de Monsieur Monde » de Claude Goretta avec l’excellent Bernard Lecoq) mais c’est la première fois qu’il le fait avec cet effet cotonneux et décharné qui donne au spectateur l’impression de toucher l’âme d’un semblable. (m.c.a)

(*) Robert Bresson « Notes sur le cinématographe »
(**) une adaptation 3 étoiles du beau roman de Georges Simenon