A voir en priorité
4étoile(s) 4étoile(s) 4étoile(s) 4étoile(s) 4étoile(s)

LES FANTÔMES D’ISMAËL

Arnaud Desplechin

Mathieu Almaric, Marion Cotillard, Charlotte Gainsbourg, Louis Garrel, Alba Rohrwacher, Hippolyte Girardot

110 min.
17 mai 2017
LES FANTÔMES D'ISMAËL

Ismaël Vuillard fabrique des films. En ce moment, il crée le portrait d’Ivan, un diplomate inspiré de son frère. Avec Bloom, son beau-père et maître, il pleure encore la mort de sa femme Carlotta, disparue il y a vingt ans. Depuis, il tente de se reconstruire auprès de Sylvia, qui lui apporte de la stabilité. Mais un jour, Carlotta réapparait. Sylvia s’enfuit, ne supportant pas la jalousie qui l’assaillit. Ismaël rejette Carlotta, quitte le tournage de son film pour aller s’enfermer dans la maison familiale à Roubaix, submergé par ses fantômes.

Deux années après « Trois souvenirs de ma jeunesse » et projeté en ouverture du 70e Festival de Cannes, Arnaud Desplechin nous revient avec une œuvre cinématographique aux perspectives multiples. Le film emboîte les récits les uns dans les autres, fait rencontrer le passé et le présent, questionne les relations amoureuses, brouille les frontières entre les époques, entre la réalité et la fiction, … tout cela avec un casting fonctionnant à merveilles et qui regroupe entre autres Mathieu Almaric, Charlotte Gainsbourg et Marion Cotillard.

Le film démarre à la manière d’une comédie d’espionnage. Des diplomates discutent d’un certain Ivan Dédalus (Louis Garrel) qui s’est volatilisé. Au moyen d’un flash-back, on découvre comment ce personnage, au parcours atypique, s’est retrouvé à un entretien pour un poste diplomatique. On apprend qu’il vient de Roubaix, tout comme Ismaël mais c’est aussi la ville natale d’Arnaud Desplechin qui revient souvent y tourner. Mais revenons au film. Ou du moins à celui auquel nous pensions assister. Car cette histoire qui place au centre de l’intrigue Ivan Dédalus, n’est pas celle qui nous concerne, du moins pas directement. Dans la séquence suivante, on découvre Ismaël (Mathieu Almaric), fumant une cigarette et répétant les derniers mots d’Ivan : « J’étais fatigué ». Cela nous permet de comprendre rapidement que l’histoire d’Ivan Dédalus est le fruit de l’imagination d’Ismaël, occupé à écrire son prochain film. Arnaud Desplechin nous avait donc emmenés sur une fausse piste, une ouverture de film sur un autre film.

On découvre alors une autre histoire, celle d’Ismaël, ce cinéaste tourmenté par des cauchemars qui l’empêchent de dormir. Il entretient une relation avec Sylvia (Charlotte Gainsbourg), qui lui apporte une certaine tranquillité. Mais Carlotta, qu’il croyait morte, va réapparaitre du jour au lendemain et bouleverser cet équilibre fragile qu’il avait retrouvé auprès de Sylvia. Cette dernière ne supporte pas la jalousie qui l’assaillit depuis le retour de Carlotta et décide de partir. On retrouve cette thématique de l’épouse revenante et on pense évidemment aux films d’Hitchcock, à commencer bien sûr par « Vertigo » mais aussi à « Rebecca ». Sauf qu’en l’occurrence, les fantômes reviennent réellement côtoyer le monde des vivants.

Il y a aussi tout un questionnement sur l’art de créer, de fabriquer un film, de raconter une histoire. À ce sujet, la scène culminante se déroule dans le grenier de la maison à Roubaix. On a l’impression, via le personnage d’Ismaël, de plonger dans la tête du cinéaste. D’être dans cette espèce de furie où la seule chose qui importe, c’est de trouver comment terminer ce film jusqu’à finir par développer une sorte de logique dans l’explication du récit qui apparaît claire à l’esprit du cinéaste mais beaucoup moins à celui à qui il la raconte. Au final, on est face à une œuvre complexe qui réussit, avec une virtuosité du montage, à faire coexister plusieurs histoires qui n’appartiennent pas à la même époque, ni au même univers. Le film divisera, bien évidemment, comme à chacune des œuvres du cinéaste, mais les admirateurs y trouveront leur bonheur.

(Nathalie De Man)