Agnès Varda
Agnès Varda nous emmène en voyage. Au point de départ d’une plage, la sienne. Celle qui la caractérise, qui la ramène à elle, à ce qu’elle croit être à l’intérieur. Un paysage fougueux peuplé de miroirs par les soins de cette grande dame du cinéma. Un espace à la fois meuble et structuré par la marée, à l’image de sa créatrice, petit bout de femme qui gigote d’un coin à l’autre, entrainant ses souvenirs et les images qui les peuplent.
Agnès Varda a toujours parlé d’elle-même dans ses films. Mais de façon indirecte, détournée. Par une voix over qui est la sienne, par la monstration d’un lieu qui lui est familier, par l’insertion de son propre corps au sein de l’écran. La rue Daguerre, la plage de Sète, son chat avachi, ses mains noueuses qui attrapent des camions. Un langage singulier caractérise ses films ; une manière de parler au travers de la pellicule, de toucher à sa propre intimité sans pour autant l’exposer. L’autocinébiographie comme marque de fabrique. Cinéma comme journal intime ouvert, sans être dévoilé ni exhibé.
Elle pousse une étape plus loin ce processus d’auto-écriture cinématographique avec « Les Plages d’Agnès ». Pour la première fois, il est en effet question uniquement d’elle dans ce film. Directement. De façon frontale. Dans une volonté de se raconter à ses enfants et petits-enfants, Agnès Varda reprend le fil de sa vie et se dit, sans fard ni effet. Elle commence par sa naissance, à Bruxelles, puis suit du bout du doigt le cheminement qui l’emmena de Sète vers Paris, en passant par la Chine, Cuba et les Etats Unis.
Un parcours qui se centre sur Agnès Varda, tout en ne cessant de s’éclater, de diverger, de s’éloigner d’elle. On en apprend plus sur les gens qu’elle a rencontrés, sur ceux qui ont croisé sa route que sur elle-même. Car elle ne cesse de le dire, ce qui l’intéresse ce sont les autres. Ceux qui l’ont enrichie. Ceux qui l’ont guidée. Ceux qui ont fait d’elle ce qu’elle est. D’un récit qui aurait pu être on ne peut plus linéaire, Agnès Varda crée une épopée tortueuse, qui se perd dans des recoins insignifiants, accélère sur des épisodes importants, se contorsionne pour mieux de donner à voir. A la fois complexe et terriblement évident.
Cette narration en forme de slalom est rendue au travers d’images de factures diverses. Reconstitutions, installations, scènes extraites de films, photos d’archives, mise en scène d’elle-même. Agnès Varda joue avec les typologies, avec les matières. Elle aime les collages, les puzzles, la mise en présence de visions de nature hétéroclite qui parviennent pourtant à former un tout cohérent. Elle n’a que faire de l’homogénéité, et au contraire, s’amuse de la diversité. Elle évoque ses souvenirs et met en scène ses fantasmes. S’offre le luxe de trapézistes sur la plage, de baleines en plastique, de petites filles en maillots rétro, parce que cela fait autant partie de son imaginaire que les morceaux de films qu’elle distille. Agnès Varda est une sorte de tout composite.
« Les Plages d’Agnès » touche par sa pudeur. Agnès Varda entraine, sans forcer, le spectateur. Parce qu’au travers de son histoire, elle évoque des thématiques si simples et universelles, qu’il est impossible de ne pas être happé par son récit. Un film à la fois fort et léger, qui émeut autant qu’il impressionne. (Justine Gustin)