Coup de coeur
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Coup de coeurMIA MADRE

Nanni Moretti

Margherita Buy, Giulia Lazzarini, John Turturro, Nanni Moretti

106 min.
2 décembre 2015
MIA MADRE

FR-BE" lang="FR-BE">Promu par la presse au rang des
favoris pour la très convoitée Palme d’Or 2015, le Mia Madre de Nanni Moretti (qui avait reçu la Palme d’Or en 2001
pour La Chambre du Fils ) fut l’un des
films honteusement exclus du Palmarès.

De quoi nous demander d’ailleurs
(après Mommy l’an dernier) ce qui
pose problème aux Jurys Cannois dans le traitement des figures maternelles au
cinéma ?

Tissé avec la plus pure délicatesse, Mia Madre nous livre une merveilleuse
mise en abyme, humainement profonde, et riche en réflexions sur les différents
niveaux de lecture du réel et l’appréhension de la réalité. Touchant, drôle et
intelligent, ce film met en scène Margherita (Margherita Buy), une réalisatrice
en plein tournage d’un film social (la fermeture d’une usine et la révolte de
ses ouvriers) qui est simultanément confrontée à la mort imminente de sa mère
et à la crise adolescente de sa fille. Femme forte et engagée, habituée à
fonctionner selon d’indéfectibles schémas de pensée, Margherita voit ses
repères et ses certitudes totalement bousculés par le spectre de la disparition
maternelle. « Mais pourquoi
continuer à répéter les mêmes choses ? Ils pensent tous que je suis
capable de comprendre, d’interpréter la réalité. Mais je n’y comprends plus
rien.
 », dit la réalisatrice.

Portrait familial et
intergénérationnel, histoire intime et autobiographique d’un cinéaste qui se
confronte à son double à travers un personnage féminin bouleversant (Nanni
Moretti, en excellent acteur, incarne le rôle du frère modèle de Margherita), Mia Madre interroge le cinéma, la vie dans ce qu’elle a
de plus essentiel (nos rapports aux autres et à la famille) et la fiction que
l’on se fait de soi et de sa vie. À quoi bon faire des films socialement
engagés ou tout simplement se faire des films lorsque l’on se rend compte que
l’on vit à côté et non aux côtés des êtres chers ?, se demande Moretti à travers
la voix d’une extraordinaire Margherita Buy pétrie par le doute et le désarroi.
Nos accomplissements professionnels ne seraient-ils que des chimères que nous
poursuivons aveuglément pour y noyer nos pâles angoisses ? Mais que penser de la
vie et de soi lorsque se fait sourdre la plus grande des inquiétudes, celle de
la mort. À quelle vacuité, à quelles éphémères inanités vouons-nous le temps
qui nous est imparti tandis que sur l’autre rive de la vie s’épanche
l’existence de ceux à qui l’on doit beaucoup, si ce n’est tout ?

Tant sur le fond que sur la forme,
les qualités de Mia Madre son
innombrables : le sujet est abordé avec une brillante sensibilité, la structure
narrative qui enchâsse un film dans le film sans discontinuité (le temps
professionnel du tournage est inclus dans le temps réel de la sphère privée)
est parfaitement maîtrisée ; la profondeur des dialogues est ciselée dans une
émotion irréprochablement dosée, et la présence d’un John Turturro au sommet de
sa forme, lequel incarne un comédien américain mythomane (Stanley Kubrick
serait tombé amoureux de son talent) et incapable d’aligner deux répliques
l’une à la suite de l’autre, donne lieu à des scènes d’une drôlerie
exceptionnelle.

Enfin, comment ne pas songer avec
émotion à notre propre mère lorsque Moretti rend un hommage aussi vibrant à sa
Madre ?

( Christie Huysmans )