Isabelle Huppert, Anamaria Vartolomei, Georgetta Leahu, Denis Lavant
De l’arty au trash le chemin est épineux.
« Dans l’art, il n’y a que le bizarre qui soit beau »- Baudelaire
Une phrase à laquelle aime se raccrocher Irina Ionesco lorsqu’elle développe ses idées sur ce qui la guide dans son travail de photographe très côtée dans les années 1970.
Photographie qu’elle envisage comme une écriture théâtrale et pornographique (*), mettant en scène des modèles, dénudés ou harnachés de 1001 colifichets dans des décors baroques (couronnes mortuaires, têtes de morts, lourdes tentures….) sans avoir comme sa consoeur contemporaine, Cindy Sherman, le désir d’une réflexion sur la place de la femme et de sa représentation dans la société.
Jusqu’ici rien à redire, l’artiste est libre de faire ce qu’il veut.
Tout comme le spectateur est libre de ne pas aimer ce qui lui est donné à voir. Tout comme il est libre de ne pas éprouver autre chose qu’un malaise profond, proche de la répulsion, lorsqu’il apprend que l’une des muses de Madame Ionesco n’est autre que sa fille.
Eva (*) qui a choisi de transposer dans « My little princess » son itinéraire auprès d’une mère-monstresse qui pendant de longues années (de ses 4 à ses 12 ans) lui a demandé (imposé ?) de poser pour elle.
Violant ainsi, en étonnante impunité, le droit pour chaque petite fille de disposer d’elle-même sans être harcelée, exploitée, malmenée par un adulte que ni la folie talentueuse, ni l’hystérie inconséquente, ni le fait d’être victime de son propre passé n’excusent.
Beaucoup de choses sont dérangeantes - une interprétation emphatique, irritante (**) ou récitative, une bande son exécrable, une mise en scène artificielle, des couleurs plombées ou sursaturées - dans ce premier long métrage réalisation d’une jeune femme dont on n’arrive pas à bien saisir les raisons qui l’ont poussé à revenir sur le passé .
Une envie de comprendre ? Mais le récit ne cherche ni à expliquer ni à justifier. Il y a chez cette mère, moderne Médée, quelque chose qui de toute façon se soustrait à l’entendement.
Un besoin de moraliser, de se venger - en effet la fin du film est plus « punitive » que la réalité puisque des photos de la jeune Eva continuent à être mises en circulation sans sa volonté ?
Une volonté de reprendre possession complète de soi en inversant le rapport du sujet/objet et en s’accordant grâce à la position de réalisatrice le droit de disposer de tous les choix - depuis le placement de la caméra jusqu’aux poses et répliques des interprètes ?
Ou alors l’ambigu désir de revisiter une relation violemment pathogène, une relation de bourreau/victime dans laquelle le spectateur peut se sentir de trop.
Parce rien dans cette histoire de « baby porn » recroquevillée sur elle-même n’est proposé pour le concerner.
Il est juste pris à témoin d’une dérive au prétexte que celle-ci a été imposée à la metteure en scène lorsqu’elle était enfant.
Le cinéma est certes un art du regard. Mais il est aussi celui du refus (***) de se laisser enfermer
lorsque la pulsion scopique se transforme en travail de thérapie voyeuriste. (mca)
(*) rebaptisée Violetta dans « My little … » - un hommage au beau et sulfureux « La petite » de Louis Malle dans lequel l’héroïne se prénommait Violet ?
(**) notamment une Isabelle Huppert prisonnière d’une posture névrosée et peroxydée qui la guinde et la mécanise comme dans un de ses plus mauvais rôles, « Ma mère » de Christophe Honoré.
(***) à propos de refus, comment se fait-il que des parents acceptent que leur enfant mineure joue dans un film aussi incommondant ?