Drame intimiste
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OSLO, 31 AOUT

Joachim Trier (Norvège 2011)

Anders Danielsen

86 min.
29 février 2012
OSLO, 31 AOUT

Il y a des films qui sont comme les paysages défilant à toute allure derrière les vitres d’un train : ils sont à peine regardés. Distraitement assimilés par des voyageurs déconcentrés.

Il y en a d’autres qui entrent dans le champ de vision du spectateur lentement, presque précautionneusement mais pour longtemps.

C’est le cas de ce beau film, à la fois lucide et mélancolique qui porte sur le spleen de son personnage principal un regard doux, compréhensif et pourtant sans concession.

Adapté avec une singularité qui n’exclut pas la fidélité à l’esprit du roman « Le feu follet » de Drieu la Rochelle qui souhaitait saluer le suicide de son ami Jacques Rigaut (*), « Oslo… » suit à la colle un jeune trentenaire empêtré, malgré un suivi médical pour addictions diverses, dans un mal être sans issue.

Avec la même détermination et la même finesse que celles de Stefan Zweig lorsqu’il décide de s’intéresser 24 heures durant à la vie d’une femme (*), le cinéaste va mettre ses pas dans ceux d’Anders, interprété par un remarquable acteur non professionnel, et capter les plus infimes nuances d’un corps et d’une âme fragilisés un peu plus à chaque souvenir. A chaque rencontre.

A chaque prise de conscience que personne, même pas la jeune femme à l’apaisant sourire de Madone, ne peut l’aider.

Dans « Oslo… » la mort est un personnage à part entière. Noir corbeau aux ailes déployées, elle plane sur chaque plan, même ceux qui semblent festifs, et rogne inexorablement l’espoir d’une vie qui vaudrait la peine de se prolonger.

Le cinéaste réussit à tramer la pellicule d’une tristesse que l’on soupçonne ombrée de déceptions, de regrets, remords qui conduiront peu à peu, et néanmoins sans surprise, à l’overdose par laquelle Anders décide de se soustraire à une existence ressentie comme une impasse.

Subtilement poétique, chromatique et sensible, « Oslo… » est un film à la frontière de l’automne et de ses couleurs amorties qui gomment, avec aussi peu de bruit que les feuilles en chute, la vivacité de l’été.

Film d’arrière-saison mais aussi de macadam - les déambulations dans la ville ont quelque chose du bleu/gris classieux d’Antonioni - et d’émotions qui touchent.

Par les questions existentielles qu’il soulève, les drames personnels qu’il révèle et l’attention rigoureuse (comme chez Balzac ou chez Bresson, une des références cinématographiques avouées par le cinéaste) qu’il porte sur un milieu social qu’une fébrilité articiellement entretenue éloigne des responsabilités de l’âge adulte.

« Oslo… » ne fait pas oublier le film de Louis Malle avec un Maurice Ronet étonnamment inspiré - sa prestation donne à chaque fois la chair de poule parce qu’elle cerne avec une rare pudeur le désespoir tranquille et la fatigue que représente pour certains le simple fait de vivre.

Il ne fait que l’actualiser (la drogue a remplacé l’alcool, pour l’un la danse avec la mort dure un jour, pour l’autre 48 heures, la musique pop les gymnopédies d’Eric Satie …) pour mieux en substantialiser la délicate (fitzgéraldienne ?) problématique.

Qui pousse les uns à se suicider sans un cri, sans un pleur.

Les meurtrissures intimes figées dans un tremblant sourire. (mca)

(*) "Je suis bien heureux que tu te sois tué. Cela prouve que tu savais que mourir est l’arme la plus forte qu’ait un homme" - in "Adieu à Gonzague".

(*) interprétée par Danielle Darrieux dans le film de Dominique Delouche (1967) et par Agnès Jaoui dans celui de Laurent Bouhnik (2002)