Autour de la guerre
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REDACTED

Brian De Palma (USA 2007 - distributeur : Paradiso Filmed Entertainment)

Izzy Diaz, Daniel Stewart Sherman, Patrick Carroll

90 min.
27 février 2008
REDACTED

Trois syllabes qui claquent comme une mitraillette pour un film qui parle de la guerre. Celle d’Irak en l’occurrence, mais qui bien au-delà du cas d’espèce tente de cerner les conséquences des multiples représentations d’un conflit sur celui qui le fait et sur celui qui le regarde se faire.

Qui dit conséquences sous-entend influences. Et l’on sait que celles voulues par l’instance politique qui a décidé du conflit n’ont rien à voir avec celles des soldats sur le terrain ou des spectateurs qui la voient depuis leurs écrans de télévision, d’ordinateur ou de cinéma.

Marshall McLuhan se doutait-il que sa lapidaire constatation « the medium is the message » dotait l’homme moderne d’un nouveau statut. Celui de l’ homo technologicus qui allait par le pouvoir des images devenir leur proie consentante ou pas.

Images qu’il aura dès lors la responsabilité de trier pour se faire une idée de la Réalité souvent bien éloignée de la Vérité présentée comme officielle.

Le thème de ce dernier film, âpre et sec, de Brian De Palma est annoncé, dès son titre : « Redacted » ou encore « Mise en forme d’une nouvelle pour sa diffusion »

En se concentrant sur un fait divers, dont la banalité (hélas) hante les annales des faits de guerre (*), - le viol et le meurtre d’une jeune Irakienne par des soldats US en poste à Samarra en 2006 -
le réalisateur propose une succession de points de vue différents (**) suscitant entre ses approches fragmentées une confrontation qui présente, avec le "Rashomon" de Kurosawa, une
lointaine mais prégnante filiation.

Points de vue de professionnels (reporters, documentaristes) et de particuliers (blogs, vidéos amateur envoyées sur YouTube) qui donnent au film une facture étrange, bien éloignée du fabriqué hollywoodien, tentant de cerner au plus près, et souvent artisanalement, une histoire en train de se faire.

L’esthétique, inexistante de la préoccupation de De Palma - qui de toute façon n’a plus rien à prouver dans le domaine - est remplacée par l’éthique.

Une éthique de rupture avec la volonté édifiante et moralisatrice de la plupart des films où le cinéma se positionne par rapport à la guerre.

Une éthique qui essaie - si tant est que cela soit de l’ordre du possible - de gommer la fascination pour le spectacle de guerre et de la remplacer par une intention clairement exprimée de faire comprendre ce que la guerre signifie.

Loin des versions officielles soutenues par le pouvoir, loin d’un racolage propagandiste ou de la systématisation d’une rhétorique anti propagandiste.

Au plus près des vérités et contradictions kaléiodoscopiques de terrain, dont certaines sont un écho au « Fixed bayonets ! » - en français « J’ai vécu l’enfer de Corée » - (**) de Sam Fuller.

Au plus près d’une interrogation sur la capacité du spectateur de faire preuve d’un sens critique par rapport aux images qui lui sont proposées.

Capacité qui fait de lui un observateur, non pas noyé sous le flot des images qui envahissent son quotidien, mais conscient du monde tel qu’il est.

Film coup de poing (au propre et au figuré), « Redacted » est surtout un film intelligent qui s’adresse en priorité à l’intelligence de celui qui le regarde.

Raison pour laquelle, peut-être, il a été boudé aux Etats-Unis, ce pays qui aime tellement l’illusion
pourfendue par un De Palma, plus proche ici du pragmastisme d’un Kubrick (***) que d’une candeur à la Don Quichotte ou d’une outrance à la Michael Moore.

« Redacted » n’est distribué à Bruxelles que dans une seule salle. Il n’existe dès lors qu’une copie
d’un film dont la richesse justement se situe dans la volonté de multiplier les approches pour susciter la réflexion.

"Redacted" a obtenu le Lion d’argent à la dernière Mostra de Venise. (m.c.a)

 
(*) « Casualties of war » du même de Palma, « Blue soldier » de Ralf Nelson, « Platoon » d’Oliver Stone, « La Ciociara » de Vittoria de Sica, « Le vieux fusil » de Robert Enrico, « Catch -22 » de Mike Nichols….
(**) Le travail de Bill Pankow pour rendre lisible le patchwork voulu par le réalisateur est magnifique.

(***) On pense évidemment aux « Paths of glory ».

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