Les Rolling Stones, Martin Scorsese et ... Bill Clinton
Il est rigolo le dernier Scorsese. Il colle bien à l’époque du papy-boom florissant. Toujours avide d’occuper le haut du pavé. De briller sous les feux de la rampe.
Quatre ouistitis sur scène et un autre derrière la caméra. Avec même en prime une apparition de Bill Clinton en gentil pépé grisonnant sortant neveu et belle-mère.
Les premiers chantent, jouent de la guitare, grimacent, prennent des poses et font les (vieux) beaux.
Le second veille au grain, méticuleux, attentif, l’œil de lynx en bandoulière. Et soucieux de garder la donne.
Le troisième fait de la figuration. Au fait pourquoi est-il là ? Ah … oui. Il caritative. Et il fête ses 60 ans.
Si le spectacle filmé par Martin S. est celui des Stones, le film est bien le sien. Il l’affirme haut et fort non seulement en investissant par la voix et le physique les plans d’ouverture et de clôture et en insérant, selon sa volonté, des inserts d’archives (plus ou moins pertinentes) qui coupent le rythme du show.
Mais surtout en se réservant un autoritaire « cut » final qui remet les pendules à l’heure.
L’heure du cinéma et non pas uniquement celle de la « Performance » (*) musicale.
Scorsese ne nous épargne aucun détail du dispositif cinématographique qu’il met en place - caméras à l’épaule, sur travellings et sur grue - pour capter à travers les deux concerts donnés en 2006 au Beacon Theatre de New York (**) l’essence du pouvoir magnétique d’un groupe-culte et la façon dont il s’en sert pour séduire et manipuler son public.
Band dont le mythe s’est cristallisé pour toujours autour de l’incendiaire et poétique aubade donnée le 5 juillet 1969 à Hyde Park en hommage à Brian Jones et qui se terminait par un envol de papillons qui encore aujourd’hui hante les corps et les mémoires de ceux qui y étaient.
Comment, dans une chronique, ne pas redire ce qui a été martelé, dans tous les journaux, magazines, sites www, média visuels et audio lorsque « Shine a light » est sorti ?
Comment ne pas lasser celui qui a déjà lu abondance de détails sur le film, la carrière de Jagger et les liens qui l’unissent au 7ème art et tout particulièrement à Martin Scorsese (***) depuis que celui-ci a lâché sur la toile de « Mean streets » un Robert de Niro auréolé de la violence rifftante d’un ébouriffant « Jumping Jack Flash » version 1969 - les morceaux des Stones comme les grands crus ont leur année d’excellence. ( http://www.youtube.com/watch?v=AjE0AHkdgFc&feature=related )
Peut-être en rappelant une anecdote racontée par Scorsese et selon laquelle il échappa à la prêtrise lorsque ou parce que la révolution du rock’n roll éclata. De là sans doute sa « Sympathy for the devil » ...
Et en rappelant que les spectacles sont faits pour être vus live. Représentés, montés, éclairés même par 16 caméras ils perdent de leur puissance. De leur innéité.
Ils ont l’air de petites choses domestiquées d’où s’échappent des détails qui gâchent l’ensemble :
l’hyperkinétique sex-appeal un peu trop fabriqué de Mick J., les traits creusés de Ron W, la lassitude hébétée de Bill W et les doigts déformés par le rhumatisme - un Herben aux index ? - de Keith R.
Les Stones ne sont pas faits pour être vus assis, le corps enserré dans un fauteuil, la bouche cousue parce que le cinéma réclame du spectateur le silence.
Ils demandent de l’espace, du recul parce qu’ils suscitent des envies de chanter, de danser, de bouger.
Sans cette liberté de mouvement dont est privé le regardant, ne reste que quatre pépères qui s’agitent, accompagnés comme tous les chanteurs vieillissants de chœurs et de cuivres, qui font leur numéro. Sinon en robots du moins en pros.
Numéro qui rappelle les limites du pouvoir cinématographique même si aux commandes se trouve un Maître : la magie du 7ème art court parfois vainement à capturer celle de la vie. (m.c.a)
(*) Allusion au premier film réalisé par Nicolas Roeg en 1970 avec un Mick Jagger en rock star décadente.
(**) Julian Schnabel a lui aussi dans son « Lou Reed’s Berlin » choisi de faire un film, à partir de 5 représentations données par l’artiste au St Ann’s Warehouse de Brooklyn/New York
(***) Le magazine Positif a réalisé un superbe article sur la question dans son numéro d’avril 2008.