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THE HOLDOVERS

Alexander Payne

Paul Giamatti, Dominic Sessa, Da’Vine Joy Randolph…

133 min.
20 décembre 2023
THE HOLDOVERS

Une chorale de Noël. Des plans d’une petite ville sous la neige. Un internat sous la neige.
Le ton semble être donné dès les premiers plans du film. Nous sommes en décembre 1970. Paul Hunham (Paul Giamatti) est un professeur bigleux (appelé « walleye »), à Barton Academy, un internat pour garçons dans le Massachusetts, où il enseigne mais où il vit également, comme nous laissent deviner les plans dans la salle de bain attenant à son bureau, dévoilant ainsi des détails intimes de sa vie (comme la présence d’une crème contre les hémorroïdes). Peu avant les vacances de Noël, il est désigné par son proviseur et ancien élève Dr. Woodrup (Andrew Garman) pour rester à Barton avec les élèves qui ne peuvent rentrer chez eux, « the holdovers ». Cela est non seulement une punition pour Hunham, car il a refusé de laisser passer le fils d’un sénateur pour son cours d’histoire ancienne, mais aussi (et surtout) pour les élèves qui détestent ce professeur. Paul Hunham est en effet un misanthrope, mal odorant, qui ne semble éprouver ni intérêt, ni empathie pour aucun de ses élèves. Parmi les élèves laissés pour compte, il y a Angus Tully (Dominic Sessa). Tully, le plus intelligent de la bande, est également celui qui devra finalement rester seul avec Hunham (les autres ayant la possibilité de quitter l’internat dans l’hélicoptère d’un des pères richissimes). Mary Lamb (Da’Vine Joy Randolph), la cuisinière de l’internat, accompagne ce duo. Elle porte comme douleur indicible la perte de son unique fils, qui participa à la guerre du Vietnam pour pouvoir payer ses études.

Avec « The Holdovers » (inspiré librement de « Merlusse » (Marcel Pagnol, 1935) (1), Payne nous plonge dans l’ambiance des années 70. Tant au niveau sonore (son mono) qu’au niveau visuel (grain de l’image et décors originaux) (2) ; Alexander Payne nous explique même que rien ne fut tourné en studio, le Massachusetts étant un état très conservateur par rapport aux choses qui ne sont donc pas facilement remplacées (3). En filigrane, on devine également la question politique de la guerre au Vietnam. Par ailleurs le scénario, malgré ses quelques revirements inattendus, relève du classicisme. Il y a donc certes une sorte de nostalgie pour le cinéma des années 70 d’une part, mais d’autre part, on a l’impression d’être face à un film hollywoodien sorti tout droit des seventies, tant Alexander Payne en a soigné les moindres détails.

Y compris donc bien évidemment le choix des acteurs.
Paul Giametti, avec qui Alexander Payne avait déjà tourné « Sideways » en 2004 et Dominic Sessa interprètent à merveille ces deux hommes qui se cherchent (et se trouvent). Le premier est déjà bien connu pour ses nombreuses interprétations remarquables (« The Truman Show » 1998 ; « Saving Private Ryan » 1998 ; « 12 Years a Slave » 2013 ; « The Ides of March » 2011 ; « The Illusionist » 2007…). Le deuxième est néanmoins une révélation. Dominic Sessa n’avait en effet jamais fait de cinéma, ni joué dans un clip ou court métrage (4). Ce jeune homme âgé tout juste de 21 ans brille à l’écran et nous touche par sa sincérité et son jeu d’une justesse remarquable.

Ponctué de proverbes à la fois drôles (« Life is like a hen ladder, short and shitty »(5) et plus classiques (« Alea iacta est », « Without exercise the body devores itself », « The world is decay, Life is perception » (6) …), nous retenons néanmoins surtout la phrase suivante « History is explanation of present » (7). Car si cette phrase qu’adresse Hunham à Tully dans le but qu’il s’interroge sur le passé, sur son passé afin de mieux comprendre le présent et qui il est, elle s’adresse évidemment également à nous spectateurs, nous invitant à réfléchir à ce qu’est notre propre histoire, mais également l’histoire dans laquelle nous nous inscrivons.

Alexander Payne met également en scène la solitude de l’homme, et la manière dont celui-ci parvient à la gérer, à se faire une place dans une société pas toujours bienveillante.
Si le début du film laissait sous-entendre que ce film serait un film de Noël, les thèmes abordés ne le sont pas réellement. Néanmoins, le dénouement du film est beau et surtout réconfortant. On ne peut sortir qu’heureux de ce film, qu’on a envie de revoir encore, chaque année, à Noël peut-être. Et c’est sûrement ça qui en fait un film culte de Noël, c’est que dans le fond, ce n’en est pas un.

(Astrid De Munter)

(1) Baumann, Fabien, « La neige et les esseulés » dans Positif n° 754, p. 26.
(2) Brody, Richard, « The Nineteen-Seventies of “The Holdovers” Is Conveniently Sanitized » dans The New Yorker, 31 octobre 2023, https://www.newyorker.com/culture/the-front-row/the-nineteen-seventies-of-the-holdovers-is-conveniently-sanitized.
(3) Baumann, Fabien, p. 25.
(4) Idem, p.26.
(5) « La vie est comme une échelle à poules, courte et merdique. »
(6) « Les dés sont jetés », « Sans exercices le corps se consume », « Le monde est en décomposition, la vie est perception »…
(7) « L’histoire est l’explication du présent. »