Chronique dramatique
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TUYA’S MARRIAGE

Wang Quan'an (Chine 2007 - distributeur : Cinéart)

Yu Nan, Bater, Sen’ge

92 min.
26 septembre 2007
TUYA'S MARRIAGE

Quand une bergère chasse l’autre ...

Il y a quinze jours sortaient sur les écrans bruxellois les amours pastorales d’Astrée mises en scène par Eric Rohmer quelque part dans les forêts et collines françaises.

Bergère de fiction, bergère d’opérette, proche de la vision fantaisiste d’une Marie-Antoinette lorsqu’elle jouait, au Petit Trianon, à la gardienne de moutons, Astrée est à mille lieues géographiques des préoccupations de Tuya, jeune femme qui vit dans l’immensité des steppes de la Mongolie intérieure. Elle a pour tâche harassante, depuis l’invalidité de son époux, de subvenir au besoin du ménage et de ses jeunes enfants.

Dans « Tuya’s… », il n’est pas question, comme dans les pays riches, de divorce pro fisco mais pro humanae. Séparation qui apparaît à deux personnes qui s’aiment comme la seule solution pour permettre à l’une d’entre elles l’espérance d’une vie meilleure parce que plus facile.

A priori donc peu de points communs entre Astrée et Tuya. Et pourtant, elles sont toutes les deux des héroïnes de films qu’on peut qualifier de résistants.

Résistance pour Rohmer qui prend la forme d’une qualité de langage qui, miroir grossissant du bâclé des dialogues cinématographiques contemporains, devient une façon de s’opposer, « camera stylo » (*) en mains, à la médiocrité ambiante

Résistance pour Wang Quan’an par le regard qu’il pose sur un mode de vie - celui des éleveurs mongols - menacé par le trop rapide développement économique d’une Chine dont l’agressivité industrielle n’a que faire de ceux qui ne savent pas marcher au pas du (pseudo) progrès.

Chameau versus Mercédès. Yourte contre HLM. Vie collective et solidaire opposée à l’égoïsme de la modernité, Wang Quan’an capte en ethnologue toutes ces choses, petites ou grandes, qui donnent à « Tuya’s… » la nostalgie d’un passé qui ne reviendra pas et l’angoisse d’un futur incertain.

Filmé avec un sens de l’espace aussi grandiose que le « Urga » de Nikita Mikhalkov, plus radical que « The cave of the yellow dog » de Byambasuren Davaa qui laissait entrevoir un possible échange entre le rural et l’urbain, « Tuya’s marriage » (**) est lourd d’un échec social qui donne de la Chine contemporaine un tableau plus près du sévère « Still life » de Jia Zhang-ke que des envolées des cours de la bourse de Shanghai.

« Tuyas’ marriage » a obtenu l’Ours d’Or lors du dernier festival de Berlin. Yu Nan, compagne de vie et complice habituelle des réalisations de Wang Quan’an (**), est la seule actrice professionnelle de ce film qui, s’il oscille parfois avec désordre entre le romanesque et le documentaire, est un pudique et néanmoins vibrant signal de détresse lancé à ce monde qui se macadamise au péril d’une symbiose qui a longtemps existé entre un environnement et ses habitants.

En Mongolie, il n’y a pas que les chameaux qui pleurent. (***) (m.c.a)

(*) selon l’expression inventée par Alexandre Astruc
(**) dont une intéressante interview est proposée dans le magazine « Positif » de septembre 2007
(***) référence au film « The story of the wheeping camel » du déjà cité Byambasuren Davaa

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