Ecran Total
4étoile(s) 4étoile(s) 4étoile(s) 4étoile(s) 4étoile(s)

Coup de coeurWENDY & LUCY

Kelly Reichardt (USA 2008)

Michelle Williams, Walter Dalton,Will Patton, Will Oldham

80 min.
19 août 2010
WENDY & LUCY

Il est des films que l’on regarde, de la première à la dernière image, avec intensité. Le cœur en vrille, l’émotion à fleur de paupières et la colère dans les poings.

Comment est-il possible, en ce début de XXIème siècle si généreux pour certains, de laisser en bordure de chemin une jeune fille avec la même indifférence, la même paisible certitude, la même impression de bien faire que s’il s’agissait de se défaire d’un objet devenu inutile ?

Petite huître du 7ème art, « Wendy & Lucy » - les bien nommées, l’une parce qu’elle renvoie à l’héroïne pleine de courageux bon sens de James Barrie, l’autre parce qu’elle est une présence lumineuse, et peu importe qu’elle soit canine, permettant de garder l’illusion que l’on n’est pas seule au monde - contient une perle.

 

En fait deux perles. De l’essence la plus pure.

Une réalisatrice et une actrice.

Une réalisatrice qui, avec peu de moyens, peu de péripéties, peu de psychologie, arrive à toucher l’essentiel d’une époque - la nôtre, dure, âpre, égoïste - et l’essentiel de ce qui devrait constituer un rapport humain : la bienveillance, la tolérance et la bonté.

Une actrice qui, sur des jambes frêles, parcourt sa route avec une détermination désespérée qui force le respect et suscite l’affection.

Wendy a pris la route de l’Arkansas dans l’espoir de trouver un petit boulot et de commencer une nouvelle vie. Lorsque sa voiture tombe en panne, quelque part au milieu d’un Oregon frappé par la crise économique, et que sa chienne disparaît commence une journée et une nuit au cours desquelles cette jeune fille au corps androgyne, comme si elle n’avait pas eu l’envie de le laisser se féminiser, se confrontera à des hasards et des rencontres qui deviendront destins.

Destin personnel d’une adolescente qui ne trouve pas sa place dans une société frileuse mais qui, Rosetta made in USA, choisit de ne pas se résigner. Et de refuser la déchéance à laquelle en bout de course et à bout de force cédait Mona, la vagabonde du magnifiquement désenchanté « Sans toit ni loi » d’Agnès Varda.

Destin d’une Amérique mythique dans laquelle les laissés pour compte prennent la route dans l’espoir de trouver ailleurs de quoi vivre.

 

Au XIX l’Oncle Sam pointait le doigt vers l’Ouest.

Maintenant il le pointe vers le Nord - « Into the wild » de Sean Penn - comme pour porter à son paroxysme la réflexion sur les limites d’une société ultra libérale dans un Etat dont la gouverneure est l’ultra réactionnaire Sarah Palin.

Une mise en scène minimaliste, en parfaite harmonie avec la pauvreté des moyens d’existence des personnages principaux - dont un inattendu Walter Dalton en réconfortant vigile (*) -, une attention aux détails qui en disent long - la connivence qui s’installe avec plus pauvre que soi autour de consignes de canettes - , un cadrage épuré proche de ceux de Gus Van Sant font de cette troisième réalisation de Kelly Reichardt (**) une réussite.

Dont la force est, sans en avoir l’air, de nous interpeller. Combien de Wendy avons-nous rencontrées sans les reconnaître ?

Ou pis encore combien de Wendy avons-nous reconnues avant de nous en détourner ? Par manque de temps, de considération, d’altruisme. Ou par excès de ce sentiment qu’on appelle aquoibonisme face à la misère rampante qui contamine tant de nos semblables.

Etre ému au cinéma c’est bien. Mais c’est un peu trop facile.

Continuer à l’être, une fois sorti de la salle de projection, par ce que deviennent nos sociétés et rester désireux d’en freiner la course vers un toujours plus d’inégalité, ne fût-ce qu’en tendant la main à son prochain, c’est mieux. (mca)

(*) quelle intelligence dans le fait, parmi tous les métiers possibles, d’en avoir sélectionné un qui fait référence à la nécessaire « vigilance » que nous devons porter à ce qui nous entoure si nous voulons résister à la réalité du chacun pour soi qui se met en place – « Résiste, refuse ce monde égoïste » écrivait et chantait déjà Michel Berger dans les années 1980.

(**) Son deuxième film "Old Joy", un des fleurons de l’Ecran Total 2008 a été chroniqué sur ce site.