Huis clos familial
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Coup de coeurWINTER’S BONE

Debra Granik (USA 2010)

Jennifer Lawrence, Sheryl Lee, Lauren Sweetser John Hawkes

92 min.
19 janvier 2011
WINTER'S BONE

Ce film, le deuxième d’une réalisatrice américaine de 44 ans, est une brûlure.

 

La brûlure d’amour d’une jeune adolescente pour ses cadets (frère et sœur). Pour une mère malade et incapable de se (de les) défendre.

Une brûlure qui laisse dans nos yeux et nos cœurs une empreinte qui mettra du temps à se transformer en cendres.

A l’âge ou Rimbaud expérimentait son « la vraie vie est ailleurs », Ree Dolly est confrontée à la nécessité de vivre la sienne, les pieds dans la gadoue d’une dure réalité qui se vit au jour le jour.

Au sein d’une communauté, celle des habitants des Monts Ozarks dans le Missouri, repliée sur ses secrets, hostile à toute remise en cause de ses valeurs moyenâgeuses, méfiante vis-à-vis de toute demande émanant de ceux qui ne pensent pas comme elle.

Elle est à la recherche non pas de son identité - luxe qui n’a pas de sens dans ce petit coin de l’Amérique profonde et bouseuse - mais de son père disparu.

Pour éviter à sa famille l’expropriation d’une maison utilisée par lui, dans une demande de prêt, comme caution.

C’est par des images nettes, carrées, sans détail inutile, par des dialogues rares, courts, brutaux souvent, par des tonalités grises, marrons et bleues que la réalisatrice choisit d’éclairer son point de vue.

Empreint d’une authenticité éloignée de toute sujétion aux compromis qu’ils soient narratifs ou esthétiques, il cerne la vie d’une microsociété où les gestes d’un quotidien tissé de méfiance tiennent lieu d’éthique.

De philosophie qui se vit en marge de la légalité ou de toute croyance en une puissance autre que celle auto promulguée.

Jamais « Winter’s bone » ne s’éloigne de son sujet. Il le traque au plus près de sa chair avec une rigueur, une violence sous-jacente, un sens de la tension qui prennent à la gorge le spectateur sensible à des détresses qui ne se pleurent pas.

Mais qui ouvrent le champ à une détermination, à un courage qui forçant le respect vont délier les langues.

Image d’un cran, d’une ténacité et d’une force morale précieuses, Jennifer Lawrence (un mélange de Dominique Sanda pour la lumineuse beauté et de Sally Field pour l’énergie) donne à son personnage autre chose que son jeune talent.

Elle lui donne une humanité, une profondeur, une rageuse douceur qui renvoient à celles de toutes ces femmes qui à travers le monde affrontent, sans baisser les bras, la rugosité d’une existence malmenée par la pauvreté et les préjugés.

 

Il y a dans "Winter’s..." quelque chose qui fait écho à la lueur d’espoir de "Frozen river", à l’intérêt pour une population minoritaire de "The yumen river" et à la poignante bravoure de l’héroïne de "Lucy et Wendy" de Kelly Reichardt.

 

Le magazine Positif de ce mois de janvier 2011 consacre un bel encart au cinéaste Rohmer sous le titre « L’art du naturel ».

Si pareil encart avait été dédié à Debra Granik, il aurait pu s’appeler « L’art de l’essentiel ».

« Winter’s … » (*) a remporté le Grand Prix du Jury aux derniers festivals de Sundance et de Deauville. (mca)

(*) adapté du roman éponyme de Daniel Woodrell dont une œuvre précédente « Woe to live on » avait été adapté en 1999 par Ang Lee pour le grand écran sous le titre de « Ride with the devil ». La plupart des écrits de Woodrell ont pour cadre les Ozarks du Missouri.