Cinéphile
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Coup de coeurWONDERFUL TOWN

Aditya Assarat (Thaïlande 2007 - distributeur : Imagine Film Distribution)

Anchalee Saisoontorn, Supphasit Kansen

11 juin 2008
WONDERFUL TOWN

La détresse comme le bonheur sont des sentiments que certains choisissent de clamer. D’autres de susurrer.

Le haiku versus l’élégie, Becket contre Hugo, Schubert et Wagner. Tarentino et Lissandro.

Il n’y a pas, dans ces couples d’opposés, de meilleure façon de faire. Juste une façon d’opérer qui colle au plus près de la sensibilité avec laquelle l’auteur décide de traiter son sujet.

Le choix d’Aditya Assarat est celui de la délicatesse qui n’exclut pas l’étrange (et l’intriguant), de la modestie proche de l’effacement, de l’extrême douceur formelle pour raconter la violence.

La violence de la nature - « Wonderful … » est le premier film tourné sur le littoral thaïlandais, plus précisément à Takua Pa, depuis le tsunami de 2006 - et la violence des hommes.

Un architecte venu de Bangkok participer à la reconstruction d’un village côtier dévasté tombe amoureux de la jeune femme qui l’héberge.

A partir de cette trame dont la simplicité est en soi poignante parce qu’elle présente, dès les premières images, tous les éléments d’un drame que nous, spectateurs, n’appréhenderont que lentement, presque languissamment au rythme des cœurs de personnages qui hésitent à s’avouer leurs sentiments.

Au-delà de cette crainte d’être heureux - car a-t-on le droit de l’être après un désastre ? - le cinéaste tente avec une incandescence introvertie de recréer l’état d’équilibre et d’harmonie qui était, peut-être, celui de l’avant raz-de-marée du 26 décembre.

Y a-t-il Paradis plus inexorablement perdu que celui qu’on a imaginé ?

De cette homéostasie impossible - l’homme de la ville ne sera pas accepté par les hommes de la campagne - sourd un sentiment d’inquiétante mélancolie (*) qu’une caméra, à la fois habile et intuitive, capte avec douleur et pudeur.

Même s’il est cadré avec une autorité qui étonne pour un premier film, ce qui se dépose dans l’âme du regardant, appelé à se couler dans le rythme languide et vaporeux du montage, c’est une poussière de silence.

Qui sera rompue par les rires de deux petites filles, venues de nulle part - comme la jeune héroïne de « Meduzot » (**) qui n’avançait dans notre monde instable qu’une bouée arrimée à la taille.

Rires perlés et insouciants qui donnent à espérer que quand le temps de la cicatrisation sera venu, un présent pourra surgir des ruines du passé.

Film intense et secret, intelligent et sensuel, « Wonderful … » est de ces ouvrages que l’on dit en tapisserie maîtrisés. Parce que ce qu’il cache, ce qui est à l’envers est aussi important que ce qui est montré.

Parce que ses lignes de force balancent entre ombre et lumière, entre apaisement et péril.

« Wonderful… » habité par deux comédiens sensationnels et non professionnels, porté par un réalisateur qui sait que distance et intimité sont sœurs jumelles a reçu lors du festival de Deauville Asie, le prix du Jury 2007.

Ceux et celles qui ont aimé les films de Bouli Lanners (***) et sa façon de capter l’infini tourmenté des cieux seront étonnés et ravis de voir, qu’à l’autre bout de la terre, il y a un jeune artiste, dont la subtilité se décline autrement et qui pourtant possède lui aussi cette capacité de nous faire lever les yeux vers un firmament, reflet des impressions contrastées d’humains saisis dans leurs
peurs et difficultés à nouer avec l’autre un rapport consistant.

A quand une internationale des héritiers de celui que Corot appelait le "Roi des ciels", Eugène Boudin ? (****)

Une longue et passionnante interview du metteur en scène est proposée par le magazine « Positif » du mois de mai 2008. (m.c.a)

(*) Qui rappelle par moments celle d’Apichatpong Weerasethakul ("Tropical disease", "Blisfully yours"). Existe-t-il en Thaïlande quelque chose qui ressemble à la saudade portugaise ?
(**) de Shira Geffen et Etgar Keret
(***) "Ultranova" et "Eldorado". Ce dernier actuellement sur nos écrans et recensé sur le présent site par Justine Gustin.
(****) "Badlands" de Terrence Malick, "Rusty james" de John Ford Coppola, "Mala noche" de Gus Van Sant ... et "Nuages" de Marion Hansël