Bille August

cinéaste

Bille August, après avoir présenté à la Cinémathèque deux de ses oeuvres " Twist & shout" et "Pelle le conquérant", a assisté, en compagnie de Joseph Fiennes, à une conférence de presse
organisée par Bozar-Cinéma avant la projection de son dernier long métrage "Goodbye Bafana". CinéFemme y était, cet entretien collectif a été prolongé par un amical tête-à-tête motivé par une phrase de Nelson Mandela tirée de son livre "A long walk to freedom" :

« No one is born hating another person because of the colour of his skin or his background or his religion. People must learn to hate, and if they can hate, they can be taught to love »

La production
… est majoritairement belge. En effet c’est Jean-Luc Van Damme (le coproducteur de « Angel » de Serge Friedman, de « Pour le plaisir » de Dominique Deruddere) qui a fédéré une équipe internationale autour de l’ambitieux projet de raconter la lente émergence de l’Afrique du Sud de l’apartheid vers la démocratie à travers la relation de plus de vingt ans entre Nelson Mandela et son geôlier James Gregory.
Ce travail de quatre années, couvrant les repérages, les négociations autour de l’adaptation d’un livre d’entretiens avec James Gregory (*) et le tournage sur place, a été couronné lors du dernier festival de Berlin par le prix du meilleur film militant pour la paix (the Peace Film Award).

Pourquoi pas un « biopic » ?
… parce que Bille August souhaitait raconter l’Histoire et l’histoire à partir d’un point de vue, celui de James Gregory. Un peu comme Milos Forman et son « Amadeus », dans lequel Mozart est approché à travers le regard de Salieri. Cette façon de procéder permet de mieux nuancer le propos.
… parce que le film dépasse la relation Gregory/Mandela pour atteindre une sorte d’universel démontrant que la réconciliation de points de vue opposés (et non seulement différents) est la seule solution aux conflits qui secouent la planète

Un face-à-face ou une confrontation entre deux hommes ?
… au départ c’est plutôt une confrontation entre deux hommes qui, chacun, symbolise une prise de position politique par rapport à l’apartheid.
Il n’a fallu à James Gregory que quelques années de conditionnement-apartheid pour éprouver une forte haine envers les gens de couleur alors qu’enfant il avait pour compagnon privilégié un jeune zoulou – le bafana du titre du film qui est un terme xhosa (une des langues indigènes de l’Afrique du Sud) qui veut dire « mon meilleur ami garçon »).
Ce n’est qu’en se rendant compte que la vie lui amène les mêmes épreuves, douleurs et bonheurs mêlés, que celles vécues par son prisonnier que Grégory est amené à modifier la relation qu’il entretient avec Mandela. Il assumera cette transformation même si elle met en péril l’équilibre de sa vie professionnelle, de couple et de famille.

Préparation au tournage
… il n’y a pas eu de rencontre avec Mandela ou James Gregory parce que le premier est entouré, en raison de son état de santé et de son âge, d’un cercle très protecteur et le second est mort en 2003. Des contacts très fructueux ont été noués avec la famille de James Gregory et quelques-uns de ses collègues à Robben Island (un des lieux de détention de Mandela).
… un intérêt pour toutes les actualités sur Mandela durant ses années d’emprisonnement soit de
1964 à 1990

Tournage in situ
… il était impératif de tourner sur les lieux mêmes de l’action (Cape Town, Robben Island, Roeland Street Prison…) et avec une équipe sud-africaine.
C’est une occasion de se rendre compte que si le passé n’est plus tabou, il est toujours une blessure.

Pourquoi Joseph Fiennes ?
…parce que parmi les acteurs possibles pour le rôle, il est celui qui a exprimé le désir le plus aigu pour l’incarner. En plus son énergie et son talent lui permettaient de couvrir, avec crédibilité, la complexité du personnage, son avancée en âge et sa transformation personnelle.

Pourquoi Dennis Haybert ?
…parce que lui aussi est capable d’assurer la transformation du personnage au fil des années qui passent. Et surtout parce que c’est un acteur intelligent qui a su rendre l’intelligente humanité de Mandela.

La préparation aux rôles
… elle a essentiellement porté sur la recherche coachée de l’accent afrikaner, sur l’apprentissage d’un peu de Xhosa et sur la pratique du "stick fighting" (combat au bâton).

Comment rendre la monotonie de la vie en prison ?
… par un usage de couleurs ternes, quasi monochromes. Lorsque Diane Kruger qui ambitionnait le rôle a signalé au réalisateur que sa vie en Allemagne avait été sans relief, elle a apporté l’élément décisif à sa sélection en tant que Gloria, la femme de James Gregory.

Les autres Mandela à l’écran, notamment Danny Glover dans le « Mandela » de Philip Saville (1987) ou Sydney Poitier dans « Mandela en de Klerk » de Joseph Sargent (1997)
… Bille August a choisi de ne pas voir ces films afin de ne pas être influencé dans son approche du leader de l’A.N.C. Il souhaitait conserver à sa vision du héros une fraîcheur et une spontanéité.

L’Afrique du Sud 10 ans après l’abolition de l’Apartheid
… la tâche de conduire ce pays vers la démocratie a été gigantesque. On ne se débarrasse pas d’un si lourd passé aisément. Il reste encore un gros problème à résoudre : celui de la pauvreté actuelle que seule une politique déterminée pourra éradiquer.

La notion de pardon
… elle est primordiale. Sans pardon, aucune réconciliation n’est possible. C’est parce que Mandela a été capable de pardonner à ceux qui l’ont gardé en prison durant 27 ans que son pays a survécu sans guerre civile. Son credo de pardon « we have to forgive each other, we have to understand each other » devrait inspirer les pays déchirés, comme l’Irak, comme la Palestine, et les pays en guerre.

L’éveil de conscience
… c’est le thème sous-jacent à toute l’œuvre de Bille August. Décrire le chemin d’évolution de personnages, qui ne seront plus en fin de film ce qu’ils ont été en son début, est la raison pour laquelle il fait du cinéma.

Cet éveil peut trouver un écho dans la conscience du spectateur ?
… s’il en est ainsi, Bille August estime qu’il a bien fait de devenir cinéaste (rires).
Le cinéaste a une responsabilité : élargir la vision du monde du spectateur.

L’adaptation des livres au cinéma (« Les misérables », « La maison aux esprits », « Smilla »…)
… elle se fait à l’instinct. Très vite le réalisateur repère dans un livre ce qui l’intéresse. Il développe ce point de vue avec passion, détermination et minutie. Il ne s’encombre pas de tout ce qui est périphérique à son intérêt. Ainsi « Pelle le conquérant » est inspiré d’un livre-fleuve de Martin Andersen Nexo. En clôturant sa lecture, Bille August savait que le thème qu’il souhaitait approfondir était celui de la relation entre le père et le fils

Pourquoi cette prudence par rapport aux émotions ?
… parce que le propos du film n’est pas d’être sentimental, mais de donner corps et vie à une relation forte mettant en jeu des notions graves : la vie carcérale, le racisme, la lutte pour la liberté. Il ne fallait pas en rajouter par rapport à la mise en perspective, déjà en soi suffisamment fascinante, de deux personnes au destin hors du commun.

Sortira bientôt un film de Philip Noyce « Catch a fire » (**) qui décrit une relation duelle bien différente de celle de « Goodbye Bafana » : dans le même pays (l’Afrique du Sud), à la même époque (celle de l’apartheid), un blanc détruit la vie d’un noir qu’il prend, à tort, pour un agitateur. Il en fera un terroriste.

L’intérêt de cette mise en parallèle sera de constater que la rédemption n’est pas, pour tous, au bout du chemin.

(*) en français « Le regard de l’antilope »
(**) en français « Au nom de la liberté »