A l’occasion de la sortie de « Largo Winch », Jérôme Salle revient sur son parcours, de la photographie de presse à la réalisation, en passant par le scénario. C’est également pour lui l’opportunité de parler de son nouveau film. Il décrit tant les raisons qui l’ont amené à adapter cette BD que son processus créatif, défendant son projet avec l’énergie féroce de ceux qui croient en ce qu’ils font. En expliquant son choix de point de vue comme celui de choisir Tomer Sisley pour incaner son héros, il rend palpable son approche d’auteur du cinéma.
(CinéFemme – CF) Pourquoi adapter « Largo Winch » au cinéma ?
(Jérôme Salle – J.S.) Parce que c’est une bonne histoire, ce qui n’est pas si courant… Une bonne histoire qui a plusieurs couches, composée d’une strate d’aventure, d’action, d’une strate de thriller financier, de complot, et d’une strate de l’ordre de l’intime, centré sur le personnage, sur sa quête d’identité, ses rapports avec son père, etc. Ce que je trouvais intéressant c’était ce mélange-là, entre ces trois facettes, qui finalement est assez peu fréquent.
(CF) Et partir d’une bande dessinée… Quel travail avez-vous opéré par rapport au dessin même ? Une volonté de reproduire l’esthétique de la BD ?
(J.S.) Non, au départ, j’avais envie d’adapter une histoire (qui d’ailleurs existait en roman avant la BD). Ce qui m’a inspiré c’est qu’il y a une vraie dynamique dans les planches de Philippe Francq, qui participe, je pense à la réussite de la bande dessinée. Mais le dessin de Philippe Francq est réaliste. Ce n’est pas comme quand on adapte « Sin City » ou « 300 », qui sont des récits où l’on peut s’inspirer d’un univers visuel très marqué. Avec Largo, je suis parti de ma propre vision de l’histoire.
(CF) Mon sentiment est que vous en faites un récit purement cinématographique, utilisant au maximum les aspects de réalisation, tels que les mouvements caméra ou la profondeur de champ…
(J.S.) Ce que j’ai essayé de faire, c’est d’avoir une mise en scène dynamique, en cherchant les variances dans le rythme. Je n’aime pas les films qui ont toujours la même vitesse. « Largo » se prêtait assez bien à ces changements de rythme puisque vous avez différents univers, différentes époques qui s’y côtoient. Entre la partie enfance, tenant du conte, du paradis perdu et la partie thriller contemporaine, plus dure et énergique, je pouvais varier les dynamiques, les styles de mise en scène aussi.
(CF) Variations que l’on ne rencontrait pas forcément dans votre premier long métrage…
(J.S.) Par rapport à « Anthony Zimmer », qui était plus formel, plus esthétisant, j’ai perpétuellement cherché à avoir quelque chose de très dynamique pour ce second long métrage…
(CF) Vous avez débuté par la photographie de presse, est-ce que vous pensez que ça a pu vous influencé dans la réalisation de « Largo » ?
(J.S.) En tout cas, la photo de presse, c’est vraiment quelque chose que j’ai adoré faire. J’en rêvais quand j’étais gamin. J’aimais autant cela que le cinéma. Le fait est que j’y suis entré à un moment où c’était complexe et je n’ai pas réussi à y gagner ma vie…
Tout ce que j’ai fait avant de passé à la réalisation, que ce soit la photo de presse ou directeur artistique, influence forcément mon rapport à la mise en scène, je pense. Quelque part, mon premier travail, c’est de travailler sur le visuel. Je sais ce que je veux, je sais comment exprimer quelque chose à travers une composition visuelle.
(CF) Et à côté vous avez aussi une expérience poussée de la narration puisque vous avez aussi travaillé comme scénariste avant de réaliser.
(J.S.) Une fois que j’ai laissé tomber la direction artistique, je suis d’abord allé vers le scénario au lieu de me diriger directement vers la mise en scène. Du coup, j’ai l’impression d’avoir travaillé successivement l’image, puis l’écrit. C’est seulement après, quand j’en suis arrivé à la réalisation, que j’ai réuni les deux. J’ai pris un peu de temps, je me suis un peu promené, mais au final, je pense que les deux me serve.
(CF) Comment s’est passé votre collaboration avec Harry Cleven, réalisateur belge, sur le scénario de « Trouble » ?
(J.S.) Je pense qu’il avait lu un texte de moi, du coup il m’a contacté. Il avait déjà commencé à travailler sur « Trouble » et je me suis joins à lui. C’était super intéressant. C’est quelqu’un avec un univers très fort.
L’expérience a été très intéressante. Mais après, personnellement, comme scénariste, je n’étais pas très heureux.
(CF) Suit alors « Anthony Zimmer »…
(J.S.) « Anthony Zimmer », c’était un exercice de style pour moi. Au départ, ça devait être un petit film, stylisé, avec un clin d’œil à Hitchcock, à ce cinéma que j’aime beaucoup. Et puis il se trouve que Sophie Marceau a eu le scénario entre les mains, qu’elle l’a adoré et qu’elle a voulu le faire. Le film a grossi du fait de ce casting.
(CF) J’ai noté que « Trouble » comme « Anthony Zimmer » sont des films à twist. Avec « Largo Winch », vous vous êtes confronté à un tout autre type d’écriture… Comment avez-vous gérer l’adaptation cinématographique ?
(J.S.) Par rapport à la bande dessinée, avec Julien Rappeneau, mon coscénariste, nous avons isolé quelques points que nous pensions pouvoir approfondir pour en faire un film. Ensuite, nous avons refermé la bande dessinée et nous avons écrit notre propre scénario en gardant l’esprit de la BD. Mais nous ne nous sommes rien interdit, parce que nous cherchions à raconter une bonne histoire. Et raconter une bonne histoire ne se fait pas de la même manière au cinéma que dans une BD. Nous avons finalement opéré un travail assez semblable à celui réalisé par Jean Van Hamme lorsqu’il a adapté son roman en bande dessinée. En fait, chaque médium nécessite son propre mode de narration…
(CF) Justement, vous n’avez pas eu peur d’oser modifier l’histoire de la BD face aux fans de « Largo Winch », qui sont par ailleurs nombreux…
(J.S.) D’une manière générale, les fans, de toute façon, ils vous engueulent. J’avais lu une interview de Georges Lucas à la sortie du quatrième « Indiana Jones ». Alors que le reporter soulignait à quel point les fans devaient être heureux de retrouver leur héros, Lucas avait répondu que les fans ne sont jamais contents.
Il faut partir du principe que les fans râlent toujours. Par qu’ils ont chacun leur propre idée sur ce que devrait être le personnage. Il faut se faire une raison. Point. Mais tout cela n’empêche pas que je pense qu’ils peuvent apprécier le film. Si je faisais une adaptation respectant à la lettre la BD, les fans en sortiraient déçu, parce qu’ils ne découvriraient rien de neuf, parce qu’il n’y aurait pas de point de vue. Ici, je donne mon point de vue sur le personnage de Largo, et j’espère qu’ils pourront au moins le voir et le découvrir avec plaisir.
(CF) Je crois savoir que c’est aussi le choix de Tomer Sisley pour incarner Largo qui vous a valu le plus de foudre…
(J.S.) Leur réaction a été réellement violente vis-à-vis du choix de Tomer Sisley pour incarner Largo. Quelque part, je les comprends. Moi même, j’ai mis assez longtemps à me déterminer sur le choix de Tomer parce qu’évidemment ça représentait un gros risque de le choisir lui. Parce qu’il ne ressemble pas au héros de la bande dessinée. Mais, à nouveau, c’est mon interprétation de Largo, c’est un Largo qui est plus en décalage avec le monde dans lequel il se retrouve parachuté. Il est plus basané. Il est plus rebelle que le Largo original, qui est finalement plus lisse, qui peut parfaitement se fondre dans la masse, une fois qu’il a passé un costume cravate. Ce n’est pas le cas de Tomer. Il ressemble d’ailleurs beaucoup plus au Largo du roman originel.
Par contre, jusque là, lors des diverses projections, il n’y a aucun fan qui ne soit venu me trouver pour me dire que ce choix était lamentable. Finalement, c’est un vrai succès.
(CF) Un succès d’autant plus important pour un acteur qui n’était pour ainsi dire par reconnu jusque là.
(J.S.) Pas du tout reconnu en effet. Tellement de personnes, même bienveillantes, m’ont questionné quant à ce choix… Et pourtant, au vue du résultat, c’est vraiment ce dont je suis le plus fier.
(CF) Tomer Sisley pour incarner « Largo Winch » dans un « film d’aventure à la française », expression que je vous emprunte. Qu’entendez-vous par là ?
(J.S.) Je lutte contre le film « à l’américaine ». Si on me dit que c’est un film d’aventure à l’américaine, je ne vais pas le voir. Avec ce film, qui a un gros budget certes, on ne cherche pas à copier les américains. Notre seule vraie ambition, c’est d’être sur des standards internationaux, parce que l’on sait que c’est un film qu’on ne peut se contenter de produire à l’échelle de la France. Il faut qu’il fonctionne à l’étranger sans quoi nous ne pouvons pas le financer.
Et c’est le premier succès auquel on est parvenu puisqu’on l’a vendu dans le monde entier, sauf chez les américains, qui eux ont demandé à racheter les droits de remake, ce que l’on a refusé.
Tous les acteurs sont européens, toute l’équipe est européenne, nous avons fait ce film avec notre culture. Et il y a pleins de choses dans ce film que je n’aurais pas pu faire dans un film américain -je parle en connaissance de cause, j’ai été amené à travailler plusieurs fois avec eux-, tels que le début ou le mélange des langues.
(CF) Qu’en est-il du deux ?
(J.S.) Et bien nous aimerions beaucoup le faire, mais nous ne savons encore rien. L’histoire du deux existe, le scénario est en cour d’écriture. Mais tout cela reste virtuel parce que tout dépend de la vie en salle du premier volet. Si le premier « Largo Winch » ne fonctionne pas, alors il n’y aura jamais de second. Il existe dans nos rêves, quelque part. Si ça ne marche pas, et bien on passera à autre chose.
(CF) Et cette idée demander aux internautes leur avis pour le deux ?
(J.S.) Elle n’est pas de moi. Et c’est quelque chose dont je me méfie. Nous restons, Tomer Sisley, Julien Rappeneau et moi, les auteurs du film. Je peux entendre ce que disent les gens, mais au final, c’est ma conviction, mon regard d’auteur qui primera. Je n’ai rien contre le dialogue avec les internautes, mais je reste prudent. Je veux rester intègre tant vis-à-vis du public que vis-à-vis de moi-même.
(CF) Et bien espérons que « Largo Winch » ait une belle vie en salle !
Merci beaucoup Jérôme Salle.